Au retour de notre trek dans les Annapurnas, nous prenons quelques jours de repos à Pokhara. Cette ville, la deuxième du Népal, bénéficie d'un climat agréable et d'un très joli lac. C'est au bord de celui-ci que nous garerons les Trafics, sur un ancien terrain de camping, en plein centre du quartier touristique de Lakeside. Nous ne sommes pas seuls, d'autres Français et un Chinois (et leurs chiens) ont aussi stationné leurs camions ici, et des locaux viennent jouer au foot, faire paître leurs buffles et leurs chèvres, ou tout simplement se mêler aux touristes pour une petite ballade au bord du lac. Une fois les batteries rechargées, nous mettons nos vélos et nos sacs sur le toit d'un bus, et embarquons pour Jomsom, plus grand village du Mustang situé 150 km au nord.


Au Népal, le voyage en bus est une expérience en soi. Notre véhicule est un robuste Tata à la carrosserie défoncée et à la déco intérieure bien kitsch. Il part à 7h, et en sortant de la ville, l'agent de bord, pendu à la porte ouverte, essaie de trouver des passagers pour compléter les places libres. Après nous être arrêté pour le petit déjeuner, nous atteignons Béni au bout de 4 heures sur une route relativement bonne, c'est-à-dire avec un peu de goudron. À partir d'ici ça se corse. La piste chaotique remonte la rivière Kali Gandaki, qui en s'engouffrant entre l'Annapurna et le Dhaulagiri, deux 8000, a creusé la gorge la plus profonde au monde. Nous dépassons rarement les 15 km/h, mais ça suffit pour que les secousses manquent plusieurs fois de nous assommer en nous catapultant au plafond. Et le cœur aussi doit être bien accroché, car souvent l'engin se met à tanguer dangereusement au dessus du vide. Rien ne sépare la piste étroite du ravin, rendant les croisements avec d'autre véhicules effrayants. A midi, nouvel arrêt pour un excellent Dal Bhat expédié à la Népalaise, en moins de 10 minutes. Nous aurons cependant le temps de digérer au calme, puisqu'un bulldozer dégageant le passage nous bloquera plus de deux heures, répit bienvenue pour une bonne sieste. Nous arrivons finalement à 21h, exténués par les cahots ininterrompus et la musique népalaise diffusée à fond. Heureusement, d'aimables passagers locaux nous proposent de nous arranger l'hôtel, et nous dînerons et dormirons pour moins de 4€.


Pour le premier jour de vélo, nous remontons le lit de la Kali Gandaki, qui ici est peu profonde et se divise en de multiples bras serpentant dans une large vallée. Plusieurs passages à gué nous mouillent les pieds, et ce n'est pas très agréable car malgré le beau soleil, il fait très froid. Puis nous montons un petit col avant de redescendre sur Jomsom. L'après-midi, nous décidons d'aller nous baser un peu plus haut à Kagbeni. Nous chargeons la compagnie de bus de s'occuper de nos sacs, et pédalons les 10 km très rapidement. En effet, tous les jours vers 11h, un terrible vent se lève dans la vallée, et il nous pousse littéralement. Nous récupérons les sacs et nous mettons vite à l'abris dans l'un des derniers lodges encore ouverts. 


Le village est beau. Cela ressemble à un village tibétain, du moins tels qu'ils étaient avant que les Chinois ne rasent tout et ne reconstruisent avec leur bon goût habituel. Le paysage est également magnifique. Étant située derrière la barrière montagneuse que forme l'Himalaya, la région est épargnée par la mousson et dispose d'un climat très sec. Par conséquent le décors est très minéral, égayé seulement par les cultures de céréales en terrasses et quelques arbres fruitiers. L'ambiance est reposante; bien que sur le célèbre circuit de l'Annapurna, le village est déserté des touristes, la saison de trekking touchant à sa fin.


Le lendemain, nous grimpons par la route jusqu'à Muktinath. Changement d'ambiance. Un peu plus de touristes, mais surtout beaucoup de Népalais et d'Indiens. Le temple de Muktinath est un haut lieu de pèlerinage pour les Hindous et les Bouddhistes. Mais ce n'est pas ce qui nous intéresse, alors nous poursuivons la montée jusqu'à un col à plus de 4000 m qui mène au Haut-Mustang. Malheureusement, l'accès a cet ancien royaume interdit qui était coupé du monde jusqu'à très récemment nécessite un guide et un permis à 500$... Nous redescendons donc sur Muktinath par un sentier rapide et très amusant. Nous y passons la nuit. Le matin suivant nous remontons un petit col pour basculer dans la vallée de Lubra. Plusieurs sentier alléchants s'offrent à nous, et pour commencer nous tirons un gauche. Nous arrivons à Lubra, minuscule village perdu dans un splendide canyon. Peu après, je croise une famille de daims musqués, reconnaissables à leurs longues canines.  


Le jour suivant nous remontons à Muktinath par un nouveau chemin, traversant des villages toujours plus pittoresques. Puis encore la vallée de Lubra, par un autre sentier. Je commence à prendre confiance et lâcher les freins. Mais dans une petite bosse, je relance en force, faisant exploser ma chaîne. Pas grave, on répart et ça repart. Cette fois la trace part sur un plateau en surplomb du canyon. Je prends de la vitesse quand soudain je surprend un troupeau de bharals, aussi connus sous le nom de moutons bleus de l'Himalaya. Je me lance dans une course poursuite à plus de 50 km/h jusqu'à ce que les bêtes disparaissent dans la falaise, leur technique pour échapper à leur redoutable prédateur, le léopard des neiges. La descente est tellement jouissive que nous la refaisons le lendemain. 


Nous redescendons ensuite la vallée de quelques kilomètres puis prenons un jour de repos a Marpha . Ce village typique s'est spécialisé dans la culture de la pomme. Au calme, nous rechargeons les batteries a grands coups de tarte au pomme et de cidre. Le lendemain, les choses sérieuses commencent : 1500m de dénivelé a avaler d'un coup. Je me retrouve rapidement seul, Florent retournant a l'auberge après une crevaison. Au bout de 2h je me perd dans la forêt. J'essaie de retrouver le chemin en m'orientant au GPS, mais la densité de la végétation et le relief accidenté ne facilitent pas la chose. La magnifique vue sur le Tukuche et les Nilgiris me permet de garder le moral. De retour sur le chemin, je continue l'ascension jusqu'à sortir de la forêt et atteindre 4150m. Je prends quelques minutes pour apprécier le paysage avant de me lancer dans la descente. Et quelle descente ! Le petit sentier est d'abord rapide à flanc de montagne, puis s'engouffre dans la forêt, toujours roulant et plein de courbes super fun. Puis il deviens de plus en plus technique, jusqu'à atteindre un gros pierrier où il convient de rester concentré pour ne pas passer par dessus le guidon. Je débouche finalement dans une large vallée, puis remonte un peu pour rejoindre le sentier du Tour des Annapurnas. L’étroite sente en balcon de la Kali Gandaki me ramène a Marpha.


Florent n'ayant pas pus goûter à cette magnifique descente, nous remettons le couvert le lendemain. Cette fois-ci je grimpe en 3h30 contre presque 6h la veille ! Impatient, je me lance à nouveau avec joie dans la descente. Mais je déchante vite. Après quelques minutes, mon dérailleur part dans les rayons. Il casse, ainsi que quelques rayons, qui à leur tour perforent la chambre a air. Blasé, je retire la chaîne, les rayons cassés et ce qu'il reste du derailleur, puis change la chambre. Je croise Florent qui arrive bientôt au sommet. Je me lance tout de même dans la descente en roue libre, mais je suis énervé et fais des fautes de pilotage, me valant de belles gamelles. Et arrivé en bas, me restent plus de 10km à faire à pied... Le vélo c'est fini pour l'instant. Nous abandonnons l'idée de revenir à Pokhara a la pédale, et chargeons le tout sur un bus pour une nouvelle journée éprouvante au rythme de la musique népalaise.