Étapes 3, 4 et 5 : Kashgar (Chine) - Murghab (Tadjikistan)

120km - 109km - 84km (+8km à pied...)


Nous nous levons lorsque le soleil se lève, c'est à dire à 7h30, alors que les rues sont encore endormies. Après un petit dej' oïgoure, nous roulons une dizaine de kilomètres afin de sortir de Kashgar. Nous empruntons les pistes cyclables parfaitement aménagées, mais qui sont aujourd'hui envahies de scooters électriques. Seuls quels vieillards en tenue traditionnelle daignent encore pédaler sur leurs bicyclettes hors d'âge. Puis nous nous engageons sur la G314, plus connue sous le nom de Karakoram Highway. Cette route mythique de 1300km relie la Chine au Pakistan, en s'élèvant sur le plateau du Pamir jusqu'à la frontière située à près de 5000m d'altitude. En ce qui nous concerne, nous l'emprunterons sur 250km jusqu'à la jonction vers le col de Qolma qui marque la frontière avec le Tadjikistan.


Et dès les premiers kilomètres, sans surprise, un checkpoint nous y attend. Comme d'hab, scan du passeport, reconnaissance faciale puis détecteur de métaux. Ici, la sécurité est omniprésente et les contrôles sont plus poussés que dans les aéroports les plus modernes. Exemple frappant : aux stations services, qui sont barricadées et gardées par l'armée, les locaux sont contraints de se faire scanner la rétine avant de faire le plein.


Les militaires nous retiendront une demi-heure, puis finiront par nous mettre en relation téléphonique avec une interprète. Celle-ci nous notifie l'interdiction de camper sur la route, et nous ordonne de relier directement Tashkurgan. Nous répondons "oui oui", et ce même si 300km et 3000 m de D+ nous séparent de cette ville. Enfin relâchés, nous arrivons pour la première fois à rouler trois heures de suite. Mais il faut le dire, la route n'est pas passionnante : c'est une longue ligne droite de 70km en plaine. Heureusement, le revêtement est parfait, et les camions qui nous doublent prennent bien leur distances, nous gratifiant au passage d'un appel d'air appréciable. Puis nous atteignons les montagnes, et nous infiltrons dans une étroite vallée que nous remontons sur une quarantaine de kilomètres. Au passage d'un pont, nous trouvons un emplacement discret au bord d'un ruisseau. Nous y bivouaquons à la belle étoile, à l'abri des regards.

Le lendemain, les choses deviennent plus sérieuses. Les petites côtes sont de plus en plus fréquentes, mais ne dépassent pas les 6%. Heureusement, car il y a du vent, et nos sacoches, en plus de peser lourd, ne sont pas très aérodynamiques. Le braquet 34-28 passe tout juste, et pour la suite nous craignons de regretter la cassette 11-32 qui était dans le colis que nous n'avons pas reçu. Cependant les paysages superbes de cette profonde vallée surplombée de plusieurs 7000m nous aident à oublier l'effort. Après un long tunnel pour moitié dans le noir complet, une montée un peu plus longue nous mène au col Bulunkul. La haut, un lac artificiel reflète les hauts sommets enneigés et les dunes qui l'entourent, et c'est magnifique.

La descente nous permet de prendre un peu de vitesse pour la première fois de la journée, et rapidement se profile au loin le mastodonte Mustagh Ata (7546m). Une section roulante nous fait passer auprès du lac Karakul, au pied ce cette impressionnante montagne, puis nous amène au bas de la principale difficulté de la journée, le col Subashi a 4050m. Un peu plus de 6 kilomètres et une pente modérée, ce n'est pas énorme, mais la fatigue, le chargement, le vent et l'altitude corsent le tout. Au sommet, il nous reste plus qu'à redescendre une dizaine de bornes jusqu'au poste chinois barrant l'accès à la frontière. Lorsque nous arrivons, c'est déjà fermé et il faut attendre le lendemain.

Nous nous rendons à l'hôtel adjacent, où le propriétaire nous met rudement dehors. Il nous dit d'aller voir à côté, dans un bâtiment qui semble désaffecté, et où nous ne trouvons aucun signe de vie. Nous allons donc planter la tente sur un parking où des routiers Tadjiks passent la nuit. À l'heure où j'écris ces mots (minuit), des éclairs de lampes torches percent à travers la toile. Ce sont des policiers, visiblement très énervés, qui viennent nous déloger. Ils gueulent en Chinois, je comprend qu'il faut que nous remballions tout en vitesse et que nous dormions à l'hôtel. Ils nous y escortent, confient nos passeports à l'hôtelier (du bâtiment mort qui a repris vie) et nous poussent littéralement dans une chambre occupée par un camionneur indélicat. Après nous avoir fait partagé sa musique, passé un coup de fil avec le haut-parleur et fait sa prière, il nous laisse finalement dormir à presque 2h (mais il nous réveillera dans la nuit pour une autre prière).


Le matin suivant, nous prenons notre temps, le poste frontière n'ouvrant qu'à midi. Nous y obtiendrons notre tampon de sortie sans encombres, mais ne serons pas autorisés à prendre la route du col par nous même. Les gardes attendrons le passage d'un camion pour y charger les vélo. C'est la première fois de ma vie que je monte dans un camion ! En haut, nous attendrons 2h à cause d'une panne internet chez les Tadjiks. 

À 16h nous pouvons commencer à pédaler. Notre destination, la prochaine ville, se trouve à 90km. Les 30 premiers seront vite avalés : ça descend pas mal et le revêtements est nickel. Puis la pente s'affaiblit, et nous slalomons un temps entre d'énormes nids de poules jusqu'à ce que le bitume disparaisse complètement. Nous avions été prévenus par un américain à Kashgar, à partir de maintenant et jusqu'à Murghab, "the road is total shit". Ce n'est qu'un chemin en tôle ondulée recouvert d'énormes cailloux. Ça secoue dans tous les sens, et bien vite Florent crève, tandis que j'effectue un vol plané par dessus le guidon. Nous avançons très lentement, nous tentons les chemins parallèles à la "route" principale que les camions ont tracé dans le désert en essayant de gagner en temps et en confort. C'est à mon tour de crever, nous nous fatiguons autant en pédalant qu'en pompant pour regonfler nos pneus... Le soleil se couche, il nous reste 25km, et je suis de nouveau victime d'une crevaison. Alors que je la répare, Florent s'aperçoit que son pneu est également à plat. Le temps de nous faire voracement dévorer par les moustiques, la nuit tombe et il fait maintenant totalement noir.

Nous sortons les frontales, et après quelques tours de roues, nous retrouvons le bitume. Houra ! Il reste 20km, nous devrions arriver dans moins d'une heure. Mais la joie est de courte durée. Le vent se lève, auquel s'ajoute la pluie. Je commence à avoir froid, et je donne tout pour rejoindre Murghab au plus vite, tout en me concentrant sur la tâche lumineuse projetée quelques mètres devant moi afin d'éviter un éventuel trou. Mais, à 8 kilomètres du but, je crève une fois de plus. Derrière, au loin, je ne distingue plus la lumière de Florent. Je suppose qu'il a également crevé. Je démonte ma roue, mais ne peux rien faire tant qu'il ne me rejoint pas car c'est lui qui a la pompe. Immobile et à decouvert, le vent et le crachin me glacent, et je me maudis de ne pas avoir pris la peine de retrouver ma pompe que j'ai égaré dans mon Trafic. Au loin, trois camions arrivent. Je me dis que Florent a peut-être fait du stop, mais les camions me dépassent sans s'arrêter. Je dois bouger pour me réchauffer, alors j'entreprends de pousser le vélo. Nous nous sommes mis tous les deux d'accord, si nous nous perdons, nous nous retrouvons au Pamir Hotel à Murghab. Si au cours des deux heures de marches qui m'attendent il ne me double pas, c'est qu'il aura bivouaqué avant, car c'est lui qui a la tente. C'est alors que les lueurs d'une lampe torche me visent de nouveau. Un homme se rapproche en courant et en sifflant. Mais cette fois nous ne sommes plus en Chine, et il s'agit simplement d'un Kirghize qui vient me proposer le gîte. Je ne m'en étais pas aperçu mais je me trouvais dans un petit village plongé dans l'obscurité car sans électricité. Un petit repas de pain dans du thé au lait, et je file au lit. 


Au petit matin je remercie mes hôtes et me met en marche. Deux heures plus tard j'aperçois enfin l'hôtel, et à cet instant même je vois Florent qui le quitte avec son vélo. Les yeux equarquillés, il m'apprend qu'il est arrivé la veille à minuit, et que très inquiet de ne pas me voir arriver, il avait fait l'aller retour jusqu'à l'endroit où nous nous étions perdu, et ce à 3h du matin. Ce matin il a fait trois fois le tour du village, et à une minute près, il se rendait au commissariat et à l'hôpital !


Aujourd'hui, nous décidons de faire une pause à Murghab. Nous devons faire le bilan des chambres à air restantes, et coller des rustines sur celles qui sont réparables. Je dois également redresser ma roue arrière qui s'est complètement voiler. Demain nous continuerons la route jusqu'à Khorog, ou nous déciderons de la suite à donner à notre tour, le plus difficile étant devant nous.


Valérien