Étapes 9 à 17 : Khorog (Tadjikistan) - Sary-Tash (Kirghizstan) par la vallée de Bartang


Après 3 jours de repos à Khorog à cause de mes soucis intestinaux, je me couche en forme et motivé pour repartir de plus belle le jour suivant. Et bien, rien n'y fait, je passerai la nuit aux toilettes... Le lendemain, je dois donc nous me faite violence pour repartir. Nous planifions une petite étape : 60 km sur route, sans reliefs. Nous l'abordons à un rythme d'escargot et arrivons en milieu d'après-midi à Rushan où nous dormons dans une charmante maison d'hôte. Je profite de la douceur du jardin pour poursuivre mon repos tout en suivant le Tour, en bonne compagnie.

Au matin, je me sens un peu mieux, et nous nous engouffrons dans la vallée de Bartang, le point d'orgue de notre tour à vélo. Cette piste, bien connue des voyageurs aventureux, constitue l'itinéraire le plus difficile pour traverser le Pamir. Au programme, 200 km d'un chemin défoncé coincé entre la rivière et les flancs de montagnes, avec de nombreux passages innondés où bloqués par les fréquents glissements de terrain. Le tout parsemé de villages-oasis aussi mignons qu'isolés. Puis, après le dernier village, une montée sur un plateau à 4000 m d'altitude pour 150km de solitude à travers un désert montagneux au climat rude, avec du sable, des passages de rivières à gué et de la boue. Seulement quelques cyclistes osent s'aventurer ici (je dirais 2-3/jour durant l'été), et nous sommes certainement les premiers à tenter la traversée avec des vélos de route !


Nous commençons doucement : après 20 km, nous souhaitons faire autre chose que pédaler. Nous posons alors les vélos, traversons la rivière par une passerelle de fortune et randonnons dans la vallée de Jisev jusqu'à un petit village niché au bord d'un lac. On nous y propose le thé, qui constituera également notre déjeuner vue la quantité de nourriture servie avec. Une fois redescendus, nous repartons tranquillement jusqu'au prochain village 10 km plus loin où nous passons la nuit.


Le lendemain, j'ai retrouvé la totalité de mes moyens, et prend un plaisir fou sur le chemin qui change sans cesse : des passages caillouteux où il faut jouer de l'équilibre, du sable où il appuyer fort pour ne pas tomber, de la boue qui bourre les freins, de l'eau parfois jusqu'aux genoux, des coups-de-cul à faire basculer le vélo en arrière, le tout dans un décor impressionnant. C'est un terrain propice au VTT, et le faire en vélo de route nous force à travailler notre technique, chaque erreur se soldant par une chute (plouf!) ou une crevaison. Pour sa part, Florent apprécie un peu moins : c'est à son tour de goûter au joies de la diarrhée. 

Le jour suivant, nous n'effectuons que 30 km, afin de permettre à Florent de récupérer. C'est l'occasion de découvrir la vie de ces jolis villages coupés du monde. Au bord de la route, un jeune homme sympathique, Tabib, nous interpelle et nous propose de nous arrêter manger chez lui. Il ne fait pas maison d'hôte, mais souhaite pratiquer son Anglais dans l'espoir de partir un jour étudier en Europe. Après nous avoir emmenés à un petit lac pour une petite toilette, il nous fait visiter son village. Il est magnifique : c'est un enchevêtrement de maisons sommaires en terre, de parcelles de blé, d'arbres fruitiers ou peupliers, de potagers, de ruisseaux... Mais tout est propre, ordonné et même décoré de jolies fleurs. Tout est produit sur place (sauf le thé et le sucre!) , et ça ressemble au village parfait tel qu'on l'imaginerait. D'ailleurs, Tabib nous explique qu'ici tout le monde vie en harmonie, et ça ne choque personne quand quelqu'un entre dans la maison d'une autre famille. Il nous emmène ensuite en haut du village, au moulin, puis à la micro-centrale hydroélectrique, simple turbine rouillée accouplée à un générateur, avec des raccordements électriques qui pendent au plafond de la cabane en pierre abritant l'ensemble. Pour dîner, nous goûtons un délicieux plat de mouton et de pommes de terres, tout en assistant au retour et à la traite des chèvres. La nuit est mauvaise : les murs de terre cuite ont accumulé la chaleur de la journée et de terribles moustiques nous harcèlent. Heureusement, un délicieux petit déjeuner nous attend. Ce matin, la cousine de Tabib fait du pain. Après avoir fait chauffer le tandoori (four en terre en forme de tonneau) et fait cuire les boules de pâte en les collant sur les parois intérieures, elle nous offre une galette de pain toute chaude.


C'est avec un peu plus de forces que nous repartons en direction du dernier village de la vallée, Gudara. Principales difficultés de la journée : deux cols bien pentus et un chemin se transformant en ruisseau sur plusieurs centaines de mètres. Le lendemain, il faut nous lancer pour le passage le plus difficile. Des touristes croisés sur la route nous ont promis des passages de rivières avec beaucoup de courant, passables uniquement à l'aube. Nous plannifions de faire les 150km en deux jours. C'est déterminés et en forme que nous remontons la vallée jusqu'à la quitter par de terribles lacets à plus de 12% de moyenne.

La fameuse rivière était simple (trop?) à traverser en portant les vélos. Je fini la journée seul devant, à fuser à plus de 35 km/h sur le plateau, bien aidé par le sol en sable dur bien tassé et le vent arrière (pour une fois). Au bord d'une rivière, je plante la tente tant bien que mal, ce n'est pas évident tout seul avec le vent qui souffle de plus en plus. Puis j'attends Florent, nous avions convenu le matin même des coordonnées GPS du lieu de campement. 

Mais il fait bientôt nuit noire et il n'arrive toujours pas. C'est embêtant pour moi car il a le réchaud et le filtre à eau (et la rivière est marron). J'avalerai finalement ce soir-là, en tout et pour tout, un sachet de nouilles déshydratées pas cuites et une gorgée d'eau qui restait dans un de mes deux bidons. Pas terrible pour la récupération. Évidement, je me réveille le lendemain complètement déshydraté, très faible et les jambes en carton. Je range tout et repart très lentement, en route vers Karakul à 70km de là et en espérant trouver très vite un ruisseau d'eau claire. 


Mais après un kilomètres je repère des traces de pneus fins : ça ne peut être que Florent et il est donc devant. Deux kilomètres plus loin les traces quittent le chemin, et deux cents mètres plus loin je l'aperçois en train de filtrer de l'eau. Je me rue dessus, puis me fait cuire mon plat de pâtes bolognaises lyophilisé qui avait attendu toute la soirée de la veille. Florent, lui, à dormi à la belle étoile. Mais nous avons des sacs permettant de dormir jusqu'à -23°C et il n'a pas eu trop froid. La veille il n'a pas vu la tente en passant devant. Elle était pourtant exactement sur le point GPS défini, à 50m et bien visible depuis la route. On se demande encore tous les deux comment celà a pu arriver !


Nous reprenons la route, mais je suis encore très faible, et après 10 kilomètres je m'écroule, littéralement. Nous sommes au milieu de nulle part, mais il nous reste quelques vivres, alors nous nous arrêtons, le temps que je reprenne des forces. Florent plante la tente afin de m'offrir un abris (aucune ombre dans ce désert), et je m'allonge pour le reste de la journée. J'ai froid, suis essoufflé et dans les vapes pendant de longues heures. L'effort physique et la déshydratation de la veille ont certainement fait échouer mon acclimatation. Puis le soir je suis réveillé par d'abominables crampes d'estomac. La douleur la plus intense que je n'ai jamais ressenti. Le lendemain je suis de nouveau contraint au repos. Le temps est long, j'ai fini tous mes livres et nous n'avons rien à faire (à part déféquer toutes les demi-heures en ce qui me concerne...). Dans l'après-midi, des véhicules passent enfin. Ce sont des touristes polonais en 4x4, et ils nous fournissent tout un tas de médicaments qui me permettent de repartir le lendemain.

Le désert est beau et sauvage, c'est dur mais à force de patience nous avançons de 40 km jusqu'à rejoindre enfin le goudron pour les 30 derniers kilomètres avant Karakul, avec bien évidemment un fort vent de face... Un très joli homestay (maison d'hôte) nous y attend, et, en compagnie d'un sympathique aventurier irlandais, nous prenons double ration de lagman (specialité d'Asie Centrale à base de nouilles) afin de reprendre un peu de vigueur. Dehors, la nuit est froide (j'en sais quelque chose) et au petit matin la neige recouvre mon vélo. Encore une fois je me sens mal, mais je veux en finir, alors nous nous habillons chaudement et nous lançons à l'assaut des deux cols nous séparant du Kirghizstan.

Nous avons déjà emprunté cette route, mais le décors semble avoir changé. Les paysages sont vraiment splendides, pédaler (tranquillement) m'a remis d'aplomb et j'apprécie à fond le lent voyage, et ce même sous les averses de grêle. Nous atteignons le poste-frontière tadjik à 4300 m sans encombres, puis basculons vers le Kirghizstan. Après une longue et boueuse descente, une interminable ligne droite de 30km, avec vent de face bien sûr, nous ramène à Sary-Tash, notre point de départ d'il y a trois semaines. Au final, nous bouclons l'étape de 100 km en 7 heures, soit moitié moins qu'un mois avant avec nos camions ! Je suis heureux d'en finir, mais complètement vidé. Ma douleur au genou est revenue, et mon vélo montre de sérieux signes de faiblesse, alors nous décidons de relier Och en taxi. Le soir même, nous retrouvons avec bonheur nos chers Trafic, et allons fêter l'achèvement de notre tour avec un copieux plat de pâtes autour d'une bonne IPA.


Au final, ce tour, bien qu'extrèmement éprouvant physiquement (surtout à cause des pépins médicaux), fut une expérience géniale. Quelques galères (normal), mais des paysages magiques, variés et impressionnants. L'impression d'être tout petit sur son vélo au milieu de ces grands espaces, être en plein air toute la journée sous un ciel relativement clément, ne rien avoir à se soucier d'autre que de pédaler, tout ça a rendu ce périple inoubliable !


Le voyage en quelques statistiques :

3 pays

1300km

23 jours ( dont 17 à vélo)

81 heures sur la selle (aïe les fesses)

6 cols de plus de 4000m

8 chambres à air

3 boîtes de rustines

25 sachets de nouilles chinoises

30 Snickers

2 boîtes de Tiorfan

Je ne sais combien de fois aux toilettes...


Valérien