Après le trekking, place à l'apinisme. Nous souhaitions une expérience différente du Pic Lénine, plus courte, plus technique, plus confidentielle. Nous jetons notre dévolu sur le Tharpu Chuli. Malgré une altitude de "seulement" 5695 m, il propose une ambiance de haute montagne, et le topo est alléchant. Une approche par le célèbre trek du Camp de Base de l'Annapurna, de la marche sur glacier, une arête sommitale aérienne, et enfin, du sommet, une vue à 360° sur le sanctuaire des Annapurnas. Nous optons pour une ascension en pur style alpin : pas de porteurs, pas de cordes fixes, un groupe réduit à nous deux et notre guide.


Revenus sans encombres à Katmandou, nous emmenons le linge à la laverie, les vélos au magasin, et passons à l'agence régler les formalités pour le guide. Ce dernier ne rentrant d'une expédition à l'Ama Dablam que 3 jours plus tard, nous en profitons pour nous goinfrer de pizzas, et aller boire des bières avec mon pote d'enfance Benoit et sa copine Agnès qui terminent leurs vacances au Népal. Le lendemain, nous partons en weekend dans un hotel situé vers la frontière tibétaine, pour faire du canyoning (bidon), mais surtout un saut a l'élastique et un saut pendulaire depuis un pont de singe suspendu 160 mètres au dessus de la rivière (terrible). À notre retour, nous faisons connaissance avec notre guide, Gyalgen Sherpa. Il nous paraît sérieux, a déjà grimpé l'Everest, l'Annapurna, et le Tharpu Chuli à 7 reprises.


Deux jours plus tard, après avoir acheté les broches à glace demandé par notre guide et mangé quelques pizzas de plus, nous partons en direction de Pokhara, 200 km à l'ouest de Katmandou. Nous récupérons Gyalgen en chemin. Après une heure de route, il demande à s'arrêter, pour déjeuner pensons-nous. Mais non, il voulait seulement s'acheter une bière. Il est 8h du matin. À midi, nous nous arrêtons manger. Gyalgen s'enfile encore une bière. Dans la voiture, il raconte à Florent que son modèle est un certain guide russe surnommé Sergueï Sherpa, qui avait l'habitude de se mettre des caisses tous les soirs jusqu'à 3h du matin avant de réveiller ses clients à 5h. Nous nous arrêtons à Kande, où nous avions prévu de passer la nuit et stationner nos camions. Celà n'est pas du goût de Gyalgen, nous sommes beaucoup trop loin selon lui, il nous faudra 3 jours pour rejoindre Chhomrong, notre objectif du lendemain. Je lui explique gentiment que nous sommes là pour marcher, que nous n'avons pas besoin de lui pour celà, et que si ça ne lui convient pas, qu'il prenne un bus et nous rejoigne au camp de base deux jours plus tard, comme prévu initialement. Au dîner, il s'enfile plusieurs verres de Raksi (alcool local).


Le matin suivant, nous endossons nos gros sacs de plus de 20 kg et nous mettons en marche, tandis que Gyalgen prend le bus. Après une vingtaine de kilomètres de jungle et de jolis villages, j'entame l'ascension finale vers Chhomrong. Au milieu de la montée, je retrouve notre guide en train de picoler. La journée suivante est tout aussi agréable. La jungle laisse place à une forêt de rhododendrons, puis de bambous, de pins, avant que la végétation ne disparaisse peu à peu. Le sentier disparaît alors sous une épaisse couche de neige fraîche; la veille, d'importantes chutes de neige ont provoqué une avalanche qui a fini sa course sur le chemin, nécessitant l'évacuation de nombreux touristes par hélicoptère. Je m'arrête pour la nuit dans un lodge du camp de base du Machhapuchre, qui en fait n'en est pas un puisque cette magnifique montagne est officiellement interdite à l'alpinisme.


Je termine la marche d'approche tôt le lendemain en appréciant le lever de soleil sur l'imposante face Sud de l'Annapurna I. Arrivé à 8h, j'en profite pour aller admirer depuis un point de vue l'impressionnant cirque naturel dans lequel je me trouve. Florent me rejoint 2 heures plus tard. Quant à Gyalgen, il arrive au coucher du soleil. Tout fier, il nous explique qu'il a trouvé des amis en chemin et qu'il a passé 3 heures à boire avec eux. Il s'écroule sur une banquette de la salle à manger du lodge, tel un ivrogne.


Le départ pour le lendemain semble compromis, puisqu'auparavant une reconnaissance de l'itinéraire est nécessaire. L'ascension commence par la traversée du gigantesque glacier noir de l'Annapurna, et par nature, la route peut être amenée à changer chaque année. Nous nous rendons donc le lendemain à l'endroit où nous sommes censé descendre, car le glacier se trouve 50 m plus bas. La pente est très raide, et la neige pas assez consistante. Pas d'autre solution qu'un rappel, mais notre corde est trop courte. Bloqués. Celà ne perturbe pas outre mesure Gyalgen qui passe le restant de la journée à jouer aux cartes. Nous nous rapprochons de deux autres alpinistes, un Anglais et un Allemand, qui sont venus tenter le même sommet avec leurs guides et porteurs respectifs. Par chance, une équipe a de quoi installer une corde fixe. Nous devrons forcer Gyalgen à se concerter avec les autres guides pour se coordonner.


Le plan défini, nous partons le jour suivant, tous ensemble. La corde est rapidement fixée, et les porteurs entame la descente, en fausses baskets Nike, leurs énormes charges accrochées à leur front, et sans s'attacher... Pour notre part, le rappel au descendeur se passe sans embûches. La traversée du glacier est laborieuse, il faut crapahuter sur de gros blocs de pierre rendus glissants par la neige, et faire un gros détour pour trouver un passage permettant de remonter sur le fil de la moraine opposée. A partir de là, nous laissons dernière-nous tout le monde afin de continuer à notre rythme. La forme physique de Gyalgen est inquiétante. La montée jusqu'au camp d'altitude ne présente pas de grosses difficultés, mais des sections assez exposées rendues glissantes par la fine couche de neige demandent de la prudence. Vers 15h, notre guide arrive, et va s'écrouler dans la tente déjà installée.


Après 2h à faire fondre de la neige, nous préparons nos dîners, et celui de Gyalgen. Nous le réveillons, il mange quelques bouchées et se rendort. Nous emboitons le pas, car le réveil est réglé à 2h du matin. Une courte nuit et nous nous réaffairons à faire de l'eau. Nous remplissons le Thermos de Gyalgen, il pu l'alcool. Plus aucun doute, nous avons un guide alcoolique. Nous le reveillerons une fois sont petit-déjeuner prêt. Départ à 4h.


Dans la nuit, Gyalgen peine à trouver le chemin, nous passons devant. Aux premières lueurs du jour, nous chaussons les crampons pour remonter un glacier par une pente de glace qui s'adoucit au bout de 300 m. Un champ de neige crevassé nous sépare maintenant du mur qui permet d'accéder à l'arrête sommitale. Nous nous encordons et débutons la traversée. A mi-chemin, Gyalgen s'arrête. Le mur, habituellement bien enneigé, est à nu. Il doute de sa capacité à escalader en tête la roche instable. Il n'a en outre aucun équipement de rocher. Incapable de prendre une décision, nous décidons de faire demi-tour. Très déçu, je ne me voyais pas de toute façon évoluer sur une arête en fil de rasoir attaché à ce boulet. Nous rentrons au camp de base en le laissant derrière nous.


Le lendemain, je tente d'oublier l'échec par la performance physique. J'attaque la redescente à Chhomrong (qui grimpe beaucoup en fait) sur les chapeaux de roues.  

Les cuisses sont puissantes, les chevilles fortes, la proprioception excellente, et le cardio suit. J'avale les 24 km et 1500 m de dénivelés en moins de 5h. Le soir, Gyalgen nous retrouve, il souhaite des explications. Pour lui, nous n'aurions pas dû l'abandonner la veille, alors qu'il en avait fait de même quelques heures auparavant, sur un glacier à 5000 m ! Pire, il aurait dit à un moment donné qu'il avait faim, et nous ne lui pas donné de Sneakers. Pauvre petit. Il pue l'alcool et fait de la peine à voir.


Nous en avons encore pour notre faim, alors décidons de prolonger le trek. Après un détour aux sources chaudes de Jhinu, nous filons vers les collines verdoyantes des contreforts du massif. Nous quittons le sentier vers Poon Hill envahi de Chinois, de Malaisiens et de Japonais pour un itinéraire plus secret. La fatigue nous rattrape, nous n'avançons plus, et je tombe malade. Nous baissons donc de régime, mais sommes bientôt à court de roupies. Nous serons forcés de vendre la corde au gérant d'un lodge pour pouvoir le payer et rentrer. Nous allons de belvédères en belvédères, et les splendides levers et couchers de soleil sur les montagnes aident à faire passer la pilule de cette expédition ratée. Nous terminerons cette ballade par une grosse descente vers la vallée, sur des chemins complètement oubliés des touristes. Nous traversons de superbes villages. Chez les Gurungs, les enfants nous saluent tous d'un "Namaste" en joignant les mains. Plus bas, les villages sont habités par une autre ethnie, les Magars. Les visages changent, les habits, l'architecture, la religion aussi. Point commun, tout est organisé autour de l'agriculture. Des animaux partout, des cultures en terrasses travaillées à la main... un vrai voyage dans le temps.


Après un retour aux camions en bus, courte halte à Pokhara pour vite passer à autre chose.


Valérie