On ne pouvait pas aller au Solukhumbu, pays des Sherpas, sans approcher au plus près les plus hauts sommets du monde. Et pour celà, un seul moyen, il faut marcher. C'est plein d'enthousiasme que nous troquons nos vélos pour nos sacs à dos. Pas trop chargés, car le tourisme etant bien développé ici, il est très facile de trouver gîte et couvert tous les soirs. Mais, revers de la médaille, des milliers de marcheurs affluent chaque automne. Nous bouderons donc le classique itinéraire vers le camp de base de l'Everest pour emprunter le circuit dit "des 3 cols", avec quelques extras. En voici le compte-rendu :


J1 (26 km, 1100 m)

Nous partons directement de Phaplu. Malgré les 15 kg sur le dos, nous avançons bien. Après une dizaine de kilomètres de mise en jambe, nous attaquons notre premier col. De l'autre côté, une longue descente nous amène dans une jolie forêt tropicale. La forme est là, il fait chaud, très peu de touristes sur le sentier. Ça commence bien !


J2 (28 km, 2800 m)

Nous repartons de plus belle. D'abord une grosse montée pour nous réveiller, puis des heures de montagnes russes dans la moiteur de la jungle. Toujours très peu de monde, hormis les porteurs et les caravanes d'ânes qui ravitaillent les villages. Certainement la section la plus difficile du trek.


J3 (15 km, 1300 m)

Nous dépassons Lukla, village où arrive la grande majorité des trekkers par avion. Le sentier devient une autoroute. Je passe mon temps à essayer de dépasser les autres marcheurs, il y a même des embouteillages. Montée express à Namche Bazaar, gros bourg perché à flanc de montagne. L'après-midi, repos bien mérité : assietes de mo-mo (délicieux raviolis cuits à la vapeur), cafés, pâtisseries, et bien sûr bières.


J4 (32 km, 1800 m)

Montée vers les hautes altitudes. Les arbres disparaissent peu à peu, une large vallée nous amène en pente douce jusqu'au village de Lungdhen. Afin de parfaire mon acclimatation, je continue quelques kilomètres sur une ancienne route commerciale en direction du col du Nangpa La et du Tibet. Je suis seul au monde (avec les yaks) dans des paysages grandioses, et je me pose pour un casse croûte face à l'imposant Cho Oyu.


J5 (25 km, 1500 m)

Départ glacial pour le premier haut col, le Renjo La (5360 m). De là-haut, vue imprenable sur l'Everest, le Makalu, et beaucoup d'autres. En bas, le lac de Gokyo et ses lodges où j'irai passer la nuit. Mais avant, petit détour en remontant la moraine du Ngozumpa, plus grand glacier de l'Himalaya. De nouveau, je mange mon sandwich dans un endroit incroyable. Sous mes pieds, le glacier forme un immense chaos de glace, des blocs et des crevasses démesurés à perte de vue. Et droit devant, l'Everest, encore, et son nuage en bannière caractéristique.


J6 (25 km, 1500 m)

Après être sorti du labyrinthe que constitue la traversée du glacier, j'attaque le second haut col, le Cho La (5420 m). C'est long et raide, et une surprise m'attends. La descente est plus ardue que la montée : il faut marcher sur un glacier mis a nu par l'absence de neige. La glace vive est extrêmement glissante, et c'est délicat d'évoluer sans crampons. Je passe plusieurs touristes aggripés à leur guide, avant de terminer à mon tour sur les fesses (mon coude s'en souvient encore 2 mois plus tard...). Mais une récompense m'attend à la sortie de cette mauvaise passe : une vue plongeante sur une profonde vallée au bout de laquelle trône la pyramide quasi-parfaite de l'Ama Dablam. Je descends ensuite de longues heures jusqu'à rejoindre le sentier principal et ces hordes de marcheurs. Je pousse jusqu'à Gorak Shep, dernier hameau avant l'Everest, où j'arrive juste avant le couché du soleil. Longue journée !


J7 (17 km, 800 m)

Je me lève à 4h30, et m'habille chaudement pour grimper au Kala Patthar avant le lever du soleil. Ce belvédère situé sur l'arête sud du Pumori, à 5645 m d'altitude, est renommé pour son magnifique panorama. Dans la nuit, un chapelet de lampes frontales serpente sur la pente devant moi. Mais je les dépasse rapidement, pour arriver le premier au sommet. Le ciel s'illumine bientôt, éclairant de teintes rosées l'horizon découpé par les cimes rugueuses qui s'alignent à l'infini. Puis les premiers éclats doré percent du sommet de l'Everest. L'instant est magique. Le vent glacial interrompt mes rêveries, et je redescends prendre mon petit déjeuner au chaud. Je reprends mon sac pour continuer jusqu'au bout de la vallée, au camp de base de l'Everest. Étonnamment, je m'y retrouve tout seul. La saison d'alpinisme est terminée, et les touristes ont décidé de me laisser tranquille. J'apprécie deux heures durant ce moment de solitude face à l'impressionnante cascade de glace du glacier Khumbu, premier passage, et le plus risqué, de l'ascension du toit du monde. Mais le silence n'est pas absolu; le glacier craque, des pierres dévalent les vertigineuses parois rocheuses, et des chutes de séracs provoquent de belles avalanches. C'est au cœur de ce beau spectacle que je reprends la lecture de "Into Thin Air", où l'action se déroule à quelques mètres d'où je me trouve ! L'après-midi, je redescends au village de Lobuche pour me reposer, car une grosse journée m'attends le lendemain. J'y croise Florent, que j'avais perdu depuis quelques jours. 



J8 (15 km, 1100 m)

Comme l'avant veille, la journée commence par une traversée labyrinthique de glacier avant l'ascension d'un col, le troisième, le Kongma La (5535 m). De ce dernier part une arête rocheuse rejoignant le pic du Pokalde, l'objectif de la journée. Sur les cartes glanées dans les lodges, la voie emprunte cette arrête, mais elle me paraît beaucoup trop accidentée et exposée. Je vais donc chercher un autre itinéraire. Du col, je distingue l'arête Est qui a l'air plus accessible. Je descends et essaye de la rejoindre. Après quelques passages compliqués, je tombe sur une sente. Je suis sur la bonne piste. Je pose mon gros sac et entame l'ascension. Ça débute par de l'escalade facile, mais c'est assez exposé. Puis ça redevient de la marche jusqu'à proximité du sommet où il faut de nouveau mettre les mains. J'abandonne à 10 mètres du but, bloqué par un mur vertical. Les prises sont bonnes, mais toute chute serait fatale, pas question d'y aller sans assurage. Je ne suis pas déçu, la vue est déjà à couper le souffle. Je fini la journée par une longue descente jusqu'au village de Chukhung.


J9 (17 km, 1200 m)

Nouvelle journée, nouvelle ascension. L'objectif : le Chukhung Tsé (5857 m). Le sentier et les cairns disparaissent rapidement, l'orientation se fait à vue. Je traverse trois éboulis pour rejoindre une pente qui ne semble pas trop prononcée. J'arrive finalement sur une arête barrée de gros blocs facilement escaladés et poursuis jusqu'au sommet. La vue est de nouveau grandiose, et cette fois véritablement à 360°. Je redescend l'éboulis droit dans la pente jusqu'au glacier Lhotse Nup, à l'ombre de la monumentale face Sud du Nuptse. Je longe la moraine jusqu'à retrouver mon point de départ. Une magnifique ascension, hors des sentiers battus (je n'ai croisé personne), faite sans topo.


J10 (28 km, 1400 m)

Il ne me reste plus qu'à redescendre à Namche. Je commence la journée accompagné, un chien me suivra pendant près de 10 km. Comme je suis en avance sur Florent, et qu'il me reste de l'énergie, je grimpe jusqu'au camp de base de l'Ama Dablam. C'est la pleine saison, des dizaines de tentes jaunes sont occupées par de courageux alpinistes. Je continue vers le camp de base avancé pour essayer de visualiser par où montent ces gens, cette montagne me paraissant tellement inaccessible !


J11 (22 km, 1000 m)

Je continue la descente jusqu'à Namche. J'y retrouve Florent au café. Après quelques mo-mo, nous sommes rejoins par Sonia. Amie de la famille de Florent et fraîchement retraitée, la lecture de nos aventures lui a donné l'envie de partir vers des contrées lointaines. Ça fait plaisir ! Nous quittons Namche en fin d'après midi. Il fait bientôt nuit et nous avons une dizaine de kilomètres à faire, alors nous courrons, sous les regards éberlués des marcheurs. Je rejoins le lodge juste avant l'obscurité. J'avais noté l'adresse car j'y avait mangé un excellent Dal Bhat à l'aller (nous avons pourtant mangé des Dal Bhat tous les soirs !). Florent finira à la frontale.


J12 (5 km, 300 m)

Afin de ne pas refaire les deux jours de marche éprouvante jusqu'à Phaplu, nous montons à Lukla dans l'espoir d'y trouver un hélicoptère. Nous trouvons rapidement quelqu'un pour nous vendre un ticket. Nous courrons jusqu'à l'aéroport (piste très courte à 12%, très impressionnant !), enregistrons les bagages et nous rendons en salle d'embarquement. Il y a beaucoup de monde, celà nous semble louche. Et pour cause, nous réalisons que nous avons des tickets pour un avion à destination de Katmandou. Nos sacs sont en train d'être chargé dans l'appareil. En panique, nous courrons sur le tarmac, malgré l'objection du personnel, pour les récupérer. Il était moins une ! Après une engueulade avec notre vendeur de billet, nous tentons notre chance directement à l'héliport, où l'on se rend en traversant la cours d'un poulailler. Après quelques heures d'attente et de négociation, nous avons nos places dans un hélicoptère. À son arrivée, le personnel retire la banquette arrière et un peu de kérosène, et nous embarquons à 7 avec nos sacs dans le petit Écureuil 4 places. L'engin de fabrication française ne bronche pas, et dix minutes de vol plus tard nous sommes de retour à Phaplu.


Valérien