Nous avons réussi. 7134 m. Ce ne fut pas facile, mais nous l'avons fait.

Résumé jour par jour :


J0 : Après une matinée à sillonner le bazar et piller les supermarchés pour constituer notre stock de nourriture, nous quittons Osh en direction des montagnes du Pamir. Une fois de plus, nous nous perdons de vue. Je dors en haut d'un col a 3600 m d'altitude, Florent un peu plus loin.


J1 : Après 50 km de route et 50 km de piste, j'arrive enfin dans la plaine verdoyante d'Achik-Tash, camp de base du Pic Lénine (3700 m). Florent m'attends au camp de Tien Shan Travel, agence qui nous laissera utiliser leurs toilettes et leurs emplacements contre une petite somme d'argent. Sergueï, le responsable, à l'air de nous prendre pour des guignols avec nos camions. Nous commençons notre acclimatation en douceur et allons nous promener dans les collines autour de jolis lacs. Le soir, nous faisons connaissance avec Nikolaï, notre guide, qui redescend directement du sommet. Cela nous rassure sur son sérieux. Lui, à notre sujet, à l'air de se faire la même opinion que Sergueï...


J2 : Marche d'acclimatation au Pic Petrovski. Nous grimpons jusqu'à 4400 m. Nous bouclons l'aller retour en 3h, pour 5-6h annoncés. Nikolaï est rassuré sur notre condition physique : "strong men". L'après midi il examine notre équipement. Il ne trouve rien à redire excepté sur nos chaussures d'alpinisme. Même avec des surbottes elles ne suffiront pas pour le sommet, et nous risquerions de perdre des orteils. Il nous recommande de louer des bottes d'altitude pour l'ascension finale.


J3 : Départ pour le camp de base avancé, ou C1 (4400 m). Nous empaquetons notre matériel. Nous avons chacun 20kg d'équipement personnel, que nous porterons, et 20kg de nourriture, que nous ferons porter par des chevaux. Après 12km de trekking assez engagé nous plantons notre tente au C1, situé sur la moraine du glacier Lénine. Nous profitons du soleil et de la vue sur l'impressionnante face nord du Pic Lénine.


J4 : Formation sur le glacier. Nikolaï nous initie aux techniques de base de la randonnée glacière : évolution sur pente raide avec les crampons, arrêt avec le piolet en cas de chute, encordage, utilisation des cordes fixes... Nous trouvons un mur vertical de glace de quelques mètres de hauteur. Nous y apprenons à nous extraire d'une crevasse, les fesses à quelques centimètres de l'eau glaciale d'une rivière s'engouffrant sous le glacier.


J5 : Ascension d'acclimatation au Pic Yukhine (5100 m). Nikolaï nous pousse (ou plutôt nous tire...) à fond. Celà restera une constante. Après 2h d'essoufflement, nous plantons la tente sur un promontoire tout en haut, seuls. Le panorama est grandiose. Florent souffre de l'altitude (semi-comateux toute l'après midi), la nuit est fraîche.


J6 : Nous redescendons en moins d'une heure. Devant notre bonne forme, Nikolaï nous propose de zapper la journée de repos prevue le lendemain pour monter directement au camp 2. Nous préparons les affaires, puis bouquinons au soleil en claquettes. Départ prévu à 5h.


J7 : La nuit est mauvaise. Une tempête de neige s'abat sur notre tente depuis minuit. A 4h, Nikolaï frappe à notre tente. Nous pouvons nous rendormir, le départ est trop dangereux ce matin. Lever à 9h. 10 cm de poudreuse recouvre la tente. La tempête ne se calme pas, au contraire. Violentes rafales de vent et gros coups de tonnerre ponctuent la journée. Nous nous refugions dans la tente commune. 


J8 : La tempête s'est calmée dans la nuit. 4h du matin, rebelote, nous ne partirons pas aujourd'hui. Nikolaï nous explique que ce n'est pas prudent, le risque d'avalanche est trop élevé. Au lever, le paysage s'est métamorphosé. 20 cm de neige au sol, les montagnes au loin devenues toutes blanches. Journée ensoleillée agréable. Nous allons profiter d'Internet par satellite au camp voisin, et assistons au retour d'une cordée koréene kamikaze. Ils sont montés directement au camp 3 sans s'acclimater. L'un d'eux est porté sur un cheval, inconscient, masque à oxygène sur le visage. Un autre est allongé sous une bâche. L'oedème cérébral ne pardonne pas.


J9 : Cette fois c'est la bonne, départ dans le noir pour le C2 (5300 m). Nous chaussons les crampons pour la portion la plus dangereuse de l'ascension. De multiples crevasses jallonent la sente, parfois assez pentue, et d'énormes coulées de neige s'arrêtent à quelques mètres de ses abords. Embouteillage dans un passage technique. Un guide français râle (pléonasme ?) lorsque nous tentons de dépasser sa cordée. Nous arriverons au C2 4h avant lui. 2h de coups de pelles sont nécessaires pour installer horizontalement notre tente Quechua. Situé sur un versant d'une combe, le camp n'est pas surnommé la "frying pan" pour rien. Le soleil de plomb, réfléchi par la neige, nous assomme.


J10 : Départ pour le C3 (6100 m). Ça grimpe sévère, les jambes chauffent. Florent à mal au ventre, il doit s'éloigner des regards quelques instants. Nous arrivons au camp , situé sur une petit plateau, à midi. Paysage spectaculaire : nous prenons la mesure de l'immensité du Pamir. Vers le Tadjikistan, les pics acérés, les blocs de glaces gigantesques, s'emmêlent à perte de vue. Le soir, le vent se lève, et j'essaie de dormir tant bien que mal, frigorifié. Rapidement la condensation tapisse la toile de tente, puis les gouttes tombent sur mon sac de couchage qui gèle ensuite. Terrible migraine.


J11 : Redescente au C1. Après avoir déjeuné, nous décidons de prolonger jusqu'au camp de base, afin de profiter pleinement des deux jours de repos suivant. La longue marche est éprouvante, les ongles de mes deux gros orteils sont noirs.


J12 : La nuit dans nos camions nous fait un bien fou. J'ai de terribles courbatures aux quadriceps, et je ne peux ne plus poser mes pieds par terre a cause de mes ongles. Je me soigne moi-même en les perçant à l'aide d'un fil de fer chauffé à rouge. Le reste de la journée passe très vite. Je me détends allongé sur mon lit, me prépare des cafés fraîchement moulus, joue de la gratte...


J13 : Après une deuxième nuit réparatrice, Nikolaï vient nous annoncer que nos plans changent. La météo se gâte, les tempêtes de la fin d'août se profilent. Nous sacrifions la journée de repos pour atteindre le sommet au plus vite. Retour au C1 dans la journée.


J14 : Il fait de plus en plus froid, et après une courte nuit, c'est bien habillés que nous remontons au C2, à la frontale. Les courbatures sont toujours présentes. Trajet sans encombres. La nuit suivante est encore froide, nous dormons peu.


J15 : Réveil brutal. Des chutes de pierres animent le camp. L'une d'elle, déviée par un talus de neige, transperce la tente voisine, heureusement inoccupée. Lors de la montée au C3, au loin, une chute de sérac provoque une avalanche. En contrebas, le nuage de poudre inonde le chemin menant au C2. Personne n'est présent à ce moment là. Nikolaï n'est pas impressionné : "not so big". Là-haut, le vent souffle fort, et nous passons l'après-midi tapis sous la tente à faire fondre de la neige pour le lendemain. Coucher 20h, réveil réglé à 2h30. 


J16 : Le grand jour. Après une nuit blanche, nous nous préparons, déterminés, à partir à l'attaque du sommet. Nous enfilons tous les habits dont nous disposons : sur l'arrête menant au Pic, les températures ressenties sont de l'ordre de -30°C. Dans des lacets sinueux, alors qu'il fait encore noir, nous croisons un homme en pleine hallucination, retenu à son compagnon par sa corde. Nikolaï s'arrête et offre une seringue de dexaméthasone, mais les alpinistes refusent l'aide... Le soleil se lève tout doucement tandis que nous prenons de la hauteur. Le décors est magistral, l'on se sent hors du temps. Nous devons négocier une section très raide, en nous aidant d'une corde fixe. Je galère à faire mon nœud Prussik, mes doigts gelant instantanément lorsque je retire mes mouffles. La marche continue, les effets de l'altitude se font sentir. Le souffle est court, j'ai l'impression que mon cerveau tourne à 50%, alors que Florent s'endort en marchant. Au bout de 7h d'effort ininterrompu, nous atteignons le buste de Lénine placé au sommet.

Nous avons réussi. 

Moins de 10 minutes plus tard nous entamons la descente. Au bout d'une heure je suis victime d'une fringale. Je m'efforce à tenir, et rejoins le camp 3 sur les rotules. Je m'effondre dans la tente et m'endors instantanément. Une heure plus tard Nikolaï nous réveille. Nous empaquetons tout pour redescendre au C2. C'est dur.


J17 : Encore une mauvaise nuit. Nikolaï se réveille avec une pierre de 30 cm de diamètre à la porte de sa tente. Il est pressé de rentrer, et impose un gros rythme jusqu'au C1. La saison est terminée, nous sommes les derniers, et tout a été remballé. Notre guide range sa tente et nous continuons jusqu'au camp de base. Nous somme félicités par le staff. Sergueï nous remet un certificat. Selon Nikolaï, moins de 10% des aspirants au sommet y arrivent. "Very strong men". Nous sommes satisfaits. Une heure plus tard nous quittons le camp, déjà déserté. 5h de route plus tard, nous sommes de retour à Och. En un jour, nous perdons 6000 m et gagnons 50°C. Une douche, une bière, un chachlik de bœuf. Puis un tour au supermarché, des biscuits, une glace, une autre bière. Nous sommes bourrés et nous endormons vidés.


J17+1 : Grasse matinée. Petit déjeuner au café Brio. Je commande des oeufs brouillés et 9 crêpes. J'ai encore faim. Je m'allonge au soleil et écris ce résumé.


Valérien