Partie 1


Nous sommes donc le 16 mai. Un mois et demi que nous sommes sur le sol Australien et il nous tarde de quitter la ville. Mais les camions sont toujours retenus en douane. La punaise diabolique, un insecte venu de Chine et qui ravage les cultures a fait son apparition en France, et les autorités australiennes ont peur que nous les importions. La quarantaine s’éternise, le container est fumigé, et nous devons aligner les dollars.


En attendant, nous devons revoir nos plans car la récolte des mandarines se termine. Nous nous mettons alors dans la tête de travailler dans une cattle station. Il s’agit de fermes immenses où sont élevées des milliers de vache pour leur viande. Les fermiers sont régulièrement à la recherche de main d’œuvre durant la saison du mustering. Cette pratique typiquement australienne consiste à rassembler le bétail laissé en semi-liberté, dans le but de castrer les veaux, déplacer les troupeaux vers des pâturages où ils peuvent s’engraisser, ou encore les amener à l’abattoir. Historiquement, ce travail était effectué à cheval, mais aujourd’hui, pour des raisons financières, majoritairement à moto. Notre soif d’aventure et notre désir de vivre l’Outback, l’arrière-pays australien, nous motive à postuler pour ce job.


Nous épluchons les petites annonces. Suite à plusieurs silences à nos mails, nous envoyons un SMS en réponse à une annonce assez basique : il faut être confiant sur la moto, et savoir où se situe Birdsville. Par hasard, nous étions tombés sur ce patelin alors que nous recherchions sur Google Map la ville la plus éloignée de tout… Le fermier nous répond qu’il est toujours en recherche de plusieurs station hands. Florent l’appelle immédiatement. L’entretien tourne rapidement sur ‘’Tu sais faire de la moto ?’’. Florent répond que oui, qu’il a voyagé en Afrique, dans le désert. On lui répond que c’est bon alors, mais Florent d’ajouter qu’il n’est pas seul. ‘’Ton pote sait aussi faire de la moto ?’’ ; ‘’Oui, mêmes expériences’’ ; ‘’et il parle Anglais ?’’ ; ‘’Oui, comme moi’’ ; ‘’Pas terrible donc !’’ ; ‘’…’’ ‘’Je vais réfléchir’’


Le lendemain, un SMS nous informe que nous sommes embauchés, et que nous commençons dans 3 jours. Sachant que Birdsville est a plus de 1500km de Brisbane et que nous sommes toujours à pieds. Mais les planètes s’alignent, et nous pouvons récupérer nos chers camions l’après-midi même. Nous nous empressons d’aller faire les courses pour le nécessaire : des bottes en cuir, jeans, chemises à carreaux, et packs de bière.


Nous prenons la route le lendemain. Les lignes droites succèdent aux lignes droites. L’autoroute laisse rapidement la place à de petites routes à une voie. Bientôt nous apercevons nos premiers kangourous. Le paysage s’assèche progressivement, et le goudron est de plus en plus parsemé de charognes : des cochons, des vaches, et des kangourous par dizaines… Puis nous croisons les premiers road trains, ces impressionnants camions américains tractant jusqu’à 4 remorques. Lorsque l’on aperçoit au loin le nuage de poussière, il est prudent de se rabattre sur le bas-côté, car eux ne freineront pas. Puis la route se termine pour laisser place à une piste. Un panneau indique ‘’4x4 uniquement’’. Nos Trafics en ont vu des pires… Le paysage devient désertique, et dès que nous mettons le nez dehors, nous sommes harcelés par la plaie de l’Outback : les mouches.


Plus de deux jours de routes plus tard, quelques kilomètres avant Birdsville, se trouve la bifurcation pour Roseberth, où nous allons travailler. Nous grimpons une petite colline au sommet de laquelle se trouve la ferme. Quelques maisons, des hangars, et tout autour, rien. Nous sommes accueillis par Steph, la cuisinière. Puis arrive Kerry, la petite quarantaine, et fils du patron. Il nous fait un petit speech : ‘’Ce sera le boulot le plus dur que vous n’ayez jamais fait’’. Nous nous installons dans nos quartiers, où vient nous saluer notre chef, Geoff.


Pour notre premier jour, direction la cuisine. Nous passons notre journée à couper de la viande. On coupe en cubes les plus beaux morceaux, hachons le reste, et réservons le gras et les os pour les chiens. Pas très difficile, mais Kerry nous prévient, les choses sérieuses débutent le surlendemain. Il nous attribue ensuite nos motocross, des Honda 230cc. Le jour suivant nous effectuons diverses taches à la ferme. J’installe une pompe sur une citerne. Je m’aperçois que Geoff a mauvais caractère. Dès que je ne fais pas quelque chose comme il l’entend, il hausse la voix et me traite d’idiot. Je lutte pour comprendre quelque chose de son Anglais au fort accent paysan. Puis l’après-midi est dédié au lavage de son avion, tandis que Florent pulvérise du gasoil sur les nids d’hirondelle qui envahissent le hangar du petit Cessna.


Nous nous couchons tôt car le lendemain le petit déjeuner est servi a 4h30.



Partie 2


4h, le réveil sonne. Il faut s’empresser d’engloutir les deux steaks du petit déjeuner car Kerry s’impatiente. A 4h45, après distribution des talkies-walkies et des GPS, nous embarquons dans un Land Cruiser, accompagnés de notre collègue Joe, un blackfella (comme ils appellent les aborigènes ici). 42 ans, dont 30 à travailler en station. Le trajet est interminable. L’exploitation, qui appartient à la famille depuis presque 100 ans, est grande comme 2 fois le département de l’Ain. La radio crache des chansons de country aux titres appropriés : ‘’come on rain’’, ‘beer for my horse’… Un kangourou traverse la route, Kerry dévie de sa trajectoire afin de le percuter de plein fouet. Silence dans l’habitacle. Une heure et demi plus tard, nous nous arrêtons au milieu du désert. Quelques secondes après être descendu du 4x4, Kerry nous crie dessus car nous ne sommes pas déjà en train de décharger les motos de la remorque.


A peine le temps d’enfiler les casques que Kerry et Joe démarrent en trombe. Nous avons du mal à les suivre sur la piste sablonneuse, et pourtant nous sommes en 6eme, poignée en coin. A presque 100km/h, de la poussière plein les yeux (nous n’avons pas de lunettes) et éblouis par le soleil levant, nous ne sommes pas très sereins. Ils s’arrêtent et nous pouvons finalement les rejoindre. Nouvelle rouste. Kerry nous explique vigoureusement que nous ne devons jamais être a plus de 5 secondes. Dans le ciel, Geoff arrive dans son avion, à la recherche du bétail. Nous nous séparons en deux, et je pars avec Joe a la poursuite d’un premier troupeau d’une quinzaine de bêtes. Nous faisons de grands cercles autour d’elles jusqu’à les maitriser. Puis Joe me laisse seul avec les vaches. Je n’ai aucune idée de ce que je dois faire, je panique et les laisse partir en courant. Très vite je me retrouve seul au milieu du désert. A la radio, Geoff débite plein de phrases mais je ne distingue que le bruit du moteur de l’avion. Je pars dans une direction au hasard, et par chance retombe sur Florent, Kerry et Joe accompagnant un plus gros troupeau, que ‘’mes’’ vaches ont rejoint.


Les trois heures suivantes, nous faisons marcher les vaches en roulant au ralenti derrière elles, en harcelant sans relâche les moins pressées. De temps à autres, Joe va récupérer d’autres vache qui grossissent peu à peu le troupeau. Il dépasse allègrement la centaine lorsque nous arrivons à un réservoir d’eau. Après les avoir laissé boire, il faut maintenant parquer les vaches dans un enclos. Leur comportement naturel les retient de franchir le portail ouvert. La stratégie : nous les encerclons, hurlons et faisons rugir les moteurs. Effrayées pas les vrombissements, elles finissent par se décider et rentrer en file indienne. Mais soudain, une vache se retourne, me jette un regard, puis part en courant. Tout s’enchaine alors très vite. D’autres vaches emboitent le pas. Tout le monde part à leur poursuite. Alors que je fais la course avec une belle bête au sprint, Geoff, qui nous a rejoint à moto, me stoppe et me passe un savon. Il m’ordonne de me mettre à l’écart. J’assiste alors à un spectacle ahurissant. Joe réussi à faire rentrer dans les rangs quelque vaches, tandis que Kerry s’occupe des récalcitrantes. Il a changé sa moto pour un quad, qu’il utilise pour percuter les pauvres bêtes affolées. Une fois à terre, il redonne la charge en pleine tête pour les assommer. Geoff se ramène alors en 4x4. Il sort une chaine, l’attache à une patte de l’animal qu’il tracte ensuite jusqu’à l’intérieur de l’enclos. Je dois alors déchainer au plus vite la vache pour que le vieux puisse aller en chercher une autre, puis fuir en courant au cas ou la rebelle voudrait se venger.


Le travail terminé, la tension retombe et nous sommes autorisés à manger nos sandwichs. Je demande des explications. Apparemment, je suis responsable de ce cirque. L’après-midi, nous rassemblons un nouveau troupeau que nous ramenons à l’enclos, puis les amenons toutes 5km plus loin. Le boulot terminé, je dois remettre ma moto sur la remorque en roulant sur la rampe. Je sers les fesses, ça passe. Puis je monte dans l’avion et rentre à la ferme. Florent, lui, retourne à l’enclos avec Kerry s’occuper d’une vache blessée. Là-bas, Kerry sort un fusil à canon scié et abat l’animal à bout portant. Le vieux revient les chercher en avion.


Le lendemain matin nous retournons au boulot en avion. Nous déplaçons le troupeau avec Joe et Florent. Un bébé veau peine à suivre la cadence, plusieurs fois il s’écroule. On essaie à maintes reprises de l’attraper, mais à chaque fois on se fait battre à la course. Nous rejoignons Kerry et son troupeau, et faisons rentrer tout le monde dans un grand enclos. Tout se passe bien, jusqu’à a ce que le dernier bœuf prenne la fuite. Nous le prenons en chasse a trois. Florent manque de se faire renverser. Au tour du vieux de se faire charger, il est mis à terre. Je m’arrête et lui demande s’il na rien de cassé. Il m’engueule : ‘’va choper cette putain de vache !’’. Nous reprenons la chasse en vain, jusqu’à ce que Kerry vienne finir le travail avec son quad. Après le déjeuner, le bétail est amené dans un yard, petit enclos compartimenté servant à procéder au triage, marquage et castration des veaux.


Nous y retournons le jour suivant. Le rôle de Florent est faire rentrer des bêtes par petits groupes dans un compartiment où se trouve le vieux, qui, à l’aide d’un bâton, fait rentrer sélectivement des veaux, des vaches ou des taureaux dans une sorte de cage en forme d’octogone. Au sommet de cette cage, quelqu’un actionne des manivelles qui ouvre la porte du compartiment approprié. Mon rôle est de m’introduire dans l’octogone lorsqu’il s’y trouve des veaux. Je dois alors les pousser dans le ‘’couloir de la mort’’, au bout duquel se trouve une sorte de gros étau que Joe referme sur les veaux, qu’il bascule ensuite au sol. Ainsi immobilisé sur le flanc, le veau est marqué et castré. En moins d’une minute, Joe fait des découpes dans les oreilles, clippe une étiquette électronique, tandis que Kerry incise le scrotum, coupe les testicules et fini par un marquage au fer rouge. Je subis une pression ininterrompue. D’un côté, Kerry me crie de faire avancer les veaux dans le couloir. Je les pousse de toute mes forces, leur tire la queue, en réponse ils me chient sur les mains. De l’autre côté, dans l’octogone, Geoff excite les plus gros veaux à coups de bâtons. Ils soufflent, raclent la pâte, et le vieux continu son flot d’insultes à mon égard. Je suis impuissant, effrayé, mais ne peux m’échapper et doit faire rentre ces veaux dans le couloir.


L’après-midi, nous faisons marcher le troupeau sur 15 kilomètres. Puis nous déplaçons les motos pour le lendemain. Toujours plein gaz, et nos motos moins puissantes nous laisse aucune chance de coller à Kerry. De retour a la ferme, nous réparons un pneu crevé du 4x4, puis retirons la bétaillère du camion pour y charger un tracteur. Encore une journée de plus de 12h.


C’est samedi, et nous n’aurons pas de week-end. Nous sommes lessivés, vidés, tant physiquement que mentalement. Le stress est intense. Combien de temps allons-nous tenir ?



Partie 3


C’est dimanche. Comme tous les jours on part de nuit pour attraper les vaches au lever du jour. Aujourd’hui, le paysage change. Le sable remplace la caillasse. La station se trouve à l’extrémité Est du désert de Simpson, caractérisé par la présence de longues bandes dunaires de plusieurs kilomètres. Ainsi, pour repérer le bétail, il faut faire des aller-retours entre les différentes dunes, parfois hautes de plus de 30 mètres. A la première montée, on s’ensable tous. Ma moto est plantée à la verticale. On redescend, puis en retente, jusqu’à prendre le coup. On astique dans ce terrain pendant 3 heures. Puis, avec Florent, nous retournons à la voiture faire le plein et manger. De retour auprès de nos collègues, nous prenons le troupeau en main, pour la première fois seuls. Nous pousserons les vaches dans ce terrains sablonneux pendant plus de 3 heures, jusqu’à trouver une zone marécageuse ou les bêtes pourrons boire et brouter en paix. Nous retournons à la voiture à fond les ballons, tels des pilotes du Dakar. Encore une journée de 12h, mais on s’amuse bien. Le soir, Sean, un jeune Australien arrivée trois jours plus tôt, nous quitte déjà.


Le lendemain, Tony vient nous prêter main forte avec son hélicoptère. Nous ressemblons plusieurs troupeaux dans une large plaine, bien aidés par les manœuvres de l’engin volant. Puis nous emmenons le bétail dans un yard. Depuis le début de la journée, Kerry ne nous gueule pas dessus comme d’habitude, mais prends le temps de nous expliquer les choses calmement. Nous nous demandons si cela cache une surprise. Allons nous devoir couper des roubignolles ? Finalement non, pendant les castrations, nous serons tous les deux à faire avancer les veaux. Plutôt facile. La journée est reposante mentalement, et j’ai même droit à un retour à la ferme en hélico.

Nous faisons la même chose le jour suivant. A la fin de la journée, nous devons rentrer seuls. Nous voyons la ferme au loin. Nous décidons de tirer tout droit. Le terrain est de plus en plus humide, et soudain ma roue se plante dans une grosse flaque d’eau. Je fini dans la boue. Nous insistons jusqu’à ce que Florent s’embourbe jusqu’au moyeu. Echec, nous rebroussons chemin et faisons le tour par la route. Nous avons gagné un nettoyage des motos et une petite pique de la part de Kerry, mais c’était marrant.


Nous passerons ensuite une journée à la ferme à faire du nettoyage. Enfin vendredi. Comme tous les matins, j’ai plus de mal à me lever que la veille. J’ai mal partout. Kerry nous met la pression de nouveau. Dans le yard, mon rôle change. Je suis désormais chargé d’attraper les veaux avec le berceau, puis d’effectuer les découpes dans les oreilles à l’aide de pinces, ce qui permet de distinguer les vaches de celles du voisin. Puis j’ajoute une puce électronique, le tout en une trentaine de secondes. Nous rentrons à 15h, à temps pour le thé. Le week-end, nous ne faisons strictement rien.


La reprise s’effectue en douceur. L’ambiance est plus détendue qu’au début. Le lundi, nous terminons le boulot avec le bétail à midi. L’occasion de faire une peu de maintenance a la ferme. Ici, nous somme vraiment loin de la civilisation. La ferme n’est reliée ni au réseau électrique, ni a l’eau courante. Pour l’électricité, un groupe électrogène tourne le matin et le soir. Pour l’eau, de grandes citernes stockent l’eau de pluie. Mais ici, il n’a pas plus depuis 3 ans. Alors il faut pomper dans la rivière qui passe au pied de la colline. Heureusement, la saison précédente, des pluie torrentielles a des centaines voir des milliers de kilomètres au Nord, ont provoqué des inondations jusqu’ici. La Diamantina, petit ruisseau le plus souvent à sec, s’est élargie sur une vingtaine kilomètres, créant une immense oasis de verdure au milieu du désert. Nous devons réparer la pompe. Pour cela, je dois m’immerger jusqu’au nombril dans la rivière boueuse, puis grimper le château d’eau de vingt 20 mètres, en restant perché au sommet de l’échelle rouillée une demi-heure en attendant que l’eau coule. Qu’est-ce qu’on ne ferait pas sous l’emprise d’un chef autoritaire.


Les jours se suivent et se ressemblent, toujours du mustering. Joe se plaint de douleurs suite à une chute à moto. Après trois jours, notre chef l’emmène voir un médecin. Il a une côte cassée. La semaine se termine tranquillement. Je pars avec Kerry réparer des clôtures et abattre des arbres a la tronçonneuse.


Vendredi, 16h, je pense avoir terminé ma journée a la ferme. Mais Florent vient me chercher. Nous devons embarquer dans la benne d’un pick-up. Avant cela, il est allé récupérer une pochette de couteaux. Kerry nous conduit dans le désert. Il avance doucement, s’arrête, repars. Jusqu’à apercevoir une famille de quatre vaches. Il s’approche, s’arrête de nouveau, sort le canon de son fusil par la fenêtre et tire. Puis il sort du Toyota et va abattre l’animal a terre. Il l’égorge, puis me demande de venir pomper son ventre pour le vider de son sang. Une autre voiture arrive. C’est le vieux. Il descend, puis nous dit : ‘’prenez un couteau et dépecez-moi cette vache’’. On s’exécute, puis on prend des sacs de jute que l’on rempli des morceaux de viande chaude que le vieux et Kerry débitent rapidement. Puis ils nous demandent de retourner la carcasse. Je m’occupe des intestins, et Florent du placenta qui contient un veau presque mature. Ça fait rire le vieux. De retour a la ferme, nous suspendons les muscles encore palpitants dans la chambre froide. Un mois de nourriture.


Contents d’être en week-end. Le Samedi, nous passons l’après-midi au pub de Birdsville avec Steph et Joe. Ce dernier, qui était sobre jusqu’à maintenant, s’est mis à boire depuis qu’il passe ses journées à ne rien faire en attendant l’avion hebdomadaire qui pourra le ramener chez lui. Ce soir, il vient sympathiser avec nous. Il a entendu ma guitare et veux en jouer. Entre deux chansons, il nous raconte comment il a fini en prison a 19 ans après que son meilleur ami blanc lui ait donné un chiot non tatoué. Depuis, il y est retourné un paquet de fois. C’est un autre monde.



Partie 4


Lundi, une nouvelle semaine débute, avec son lot de surprise. Le matin, nous nous préparons pour partir en camp. Comme d’habitude, nous avons peu d’informations, mais nous savons que nous partons pour plus de 7 jours, à 120 kilomètres de la ferme. Tandis que Joe nous a quitté pour aller se refaire une santé auprès des siens, Max nous a rejoint. Ce jeune Allemand est passionné de moto : mécano chez KTM la semaine, compétitions de motocross le weekend. Nous nous disons qu’il va pouvoir nous apprendre deux trois trucs. Il arrive super motivé avec son casque flambant neuf, venu en Australie spécialement pour exercer ce métier. Nous ne souhaitons pas doucher son enthousiasme et le laissons se faire sa propre opinion de nos patrons.


Nous mettons plus de 4 heures à arriver à destination. Dans nos 4x4, nous ne pouvons rouler plus vite que le vieux camion que Kerry conduit et qui tracte une caravane de chantier. Elle fera office de cuisine, salle à manger et salle de bain. Pour la chambre, Kerry nous a proposé de prendre nos fourgons ou notre tente. Refus catégorique du père, ce sera le swag et rien d’autre. Le swag, c’est le couchage traditionnel des bushmen australiens : un sac en toile posé à même le sol. On le déroule puis on s’enfile dedans avec son sac de couchage. Nous installons notre campement entre un yard et une rivière, au milieu de nulle part. La première nuit sous les étoiles n’est pas mauvaise.


Réveil au bruit du générateur. Rapide petit déjeuner puis nous enfourchons nos motos avant que le soleil ne se lève. Pas trop réveillé, je suis le Land Cruiser de Kerry d’un peu trop près, et aveuglé par la poussière je manque de tomber en roulant sur un banc de sable qui empiète sur la route. Un peu plus tard, Max, qui a vu la scène, me donne des conseils sur le pilotage dans le sable. Le vieux arrive en avion, nous pouvons commencer la chasse aux vaches.


Nous roulons derrière Kerry en file indienne selon les indications venues du ciel. Après quelques minutes, je me retourne ; plus personne. Max et Florent ont disparus. Avec Kerry nous appréhendons un premier troupeau. A la radio, Florent alerte « man down ! ». Je comprends que Max est tombé, mais pas beaucoup plus. Deux heures plus tard, Florent nous rejoint, seul, avec un autre troupeau. Il m’explique ce qu’il s’est passé. Lors d’un franchissement de fossé, Max est tombé et s’est semble-t-il cassé la clavicule. Il a très mal, et manque de s’évanouir plusieurs fois. A la radio, le vieux ordonne à Florent de reprendre la chasse aux vaches, il s’occupera lui-même de Max. Ce n’est que deux heures plus tard qu’il ira effectivement atterrir pour aller le récupérer en 4x4. Puis il l’emmènera en avion jusqu’à Birdsville ou il prendra un avion pour l’hopital le plus proche, à 1000 km. Le soir, le vieux revient avec un nouveau, Shane, la trentaine, Australien. Au diner, le vieux raconte hilare comment Max gémissait dans l’avion, se tordant de douleur a chaque soubresaut de l’appareil. Nous aurons droit à ses moqueries pour les trois prochains jours.


Le lendemain, première journée de Shane. Il n’arrête pas de parler, et sur la moto passe son temps à faire des sauts et des wheelies. Avec les vaches, il fait le cowboy alors qu’il ne comprend encore rien. Je me retrouve seul avec lui pour gérer un troupeau d’une centaine de vaches. Je me plie en quatre pour récupérer ses conneries et garder le contrôle du bétail. Il m’agace mais je prends sur moi et essaie de lui expliquer calmement ce qu’il doit faire. L’après-midi, dans le yard, il déboutonne sa chemise et exhibe ses tatouages. Kerry le rembarre sèchement. Le vieux ramène encore un nouveau au repas du soir : Adrian, 40 ans, Australien.


Adrian n’est pas très dynamique. Il semble de pas enregistrer ce qu’on lui explique, ce qui énerve tout le monde. Il se fait pourrir en permanence par Kerry, ce qui nous laisse un agréable répit. Les jours se suivent et se ressemblent, le matin on fait grossir le troupeau, l’après-midi on marque les nouveaux veaux. Les soirées sont agréables ; une source chaude alimente la rivière, ce qui permet de détendre les muscles. Et tous les soirs nous assistons à de splendides couchers de soleil. Tout compte fait, Shane apprend vite, mais se révèle être un véritable clown. Il ne s’arrête jamais et réalise même l’exploit d’arracher quelques rictus à Kerry. Adrian, pour sa part, ne progresse pas.


Le dernier jour de mustering arrive. Florent et moi ramenons de nouveaux troupeaux seuls, bien aidés par Tony en hélico. Plusieurs centaines de vaches sont parquées dans le yard. Il faut maintenant trier les bêtes qui retourneront dans le bush, et celles qui seront transportées près de la ferme pour s’engraisser dans les prairies verdoyantes. Cela se passe plutôt bien, jusqu’à la dernière vache. Une rebelle qui refuse d’avancer. Nous sommes tous les 4 à la pousser, mais plus nous crions, plus elle s’énerve. Kerry qui observe la scène nous demande de la laisser retrouver son calme. Tout le monde se tait, sauf Adrian qui continue de parler, enrageant l’animal. On lui fait «chuuuttt ! », puis avec des mots en chuchotant. Mais je ne sais pourquoi, il continue, et la vache lance sa charge. Shane s’enfuit au galop et bondi sur la barrière. La vache dévie alors vers Florent qui essaie de l’éviter par un pas de côté… le mauvais côté, il est balayé. Il est à terre et ne se relève pas. Nous sommes tous paniqués, toujours sous le regard lointain de Kerry qui ordonne à Shane de revenir. Ce dernier essaie de relever Flo tandis que la bête menace de charger de nouveau. Puis c’est moi qu’elle décide de prendre pour cible. J’escalade en vitesse la clôture. Kerry hurle. Nous devons affronter la vache, lui apprendre à nous respecter. Je redescends dans l’arène, le cœur palpitant. Florent s’est relevé mais est groggy, il se met a l’abris tandis que je suis une nouvelle fois chargé. Je fais un pas en avant vers la vache, crie et lui frappe la tête de toute mes forces avec mon bâton en plastique. Pour elle, c’est certainement moins douloureux qu’une piqure de mouche, mais elle fait demi-tour et s’en va finalement rejoindre ses comparses. Un long bain aux sources chaudes aidera Florent à récupérer de son KO. Pour ma part, je peste sur Adrian.


La nuit suivante, miracle, il pleut. Nous nous réveillons tous trempés dans nos swags. Des road trains à bétail arrivent tôt le matin pour charger les bœufs. Une fois le boulot terminé, nous rentrons tous ensemble à la ferme. Max, lui, est ressorti de l’hôpital avec une écharpe. Dubitatif, il retournera illico en Allemagne pour des examens complémentaires. La radio révèlera une triple fracture nécessitant deux plaques et une quinzaine de vis.


Partie 5


Lundi suivant, encore du mustering. Ça semble ne jamais se terminer ; il faut dire qu’il y a plus de 8000 vaches sur l’exploitation. Après le petit déjeuner, le vieux convoque Adrian. Viré. Il devra tout de même terminer la semaine. Shane, saute sur l’occasion pour se faire la malle avec lui.


Les journées sont interminables. Nous faisons marcher de grands troupeaux sur des dizaines de kilomètres, ce qui signifie de longues heures sur la selle à rouler au ralenti tout en restant concentrés. C’est abrutissant et ça fait mal au cul. Mais nous sommes récompensés le soir lorsqu’il faut revenir au 4x4. Nous faisons alors tout le chemin inverse à fond. Tirer tout droit dans ces immenses paysages sublimés par la lumière chaude de fin d’après-midi a quelque chose de magique. De temps un autre un kangourou nous regarde passer. C’est lors d’un de ses beaux moments que Shane et moi nous sommes retrouvés à courser un groupe d’émeus. Ces oiseaux, les plus gros du monde après les autruches, dépassent allégrement les 50 km/h.


Shane est maintenant à l’aise avec le bétail. Contrairement à Adrian, qui passe son temps à s’arrêter pour manger en douce un sandwich ou des biscuits. Nos chefs se donnent à cœur joie de lui signifier son incompétence. Les humiliations répétées commencent à nous agacer, d’autant plus qu’Adrian nous fait bien rigoler, et qu’il s’avère être une personne profondément gentille. Nous commençons à nous attacher à nos deux collègues australiens et sommes tristes de les voir nous quitter.


Dans la semaine l’équipe se renforce. Un ami d’enfance de Kerry vient expérimenter la vie dans le bush, et Joe nous fais la surprise d’un retour prématuré. Le travail en est facilité, jusqu’à ce jeudi noir, jour que je ne suis pas prêt d’oublier. La journée débute avant le lever du jour. Aujourd’hui, Kerry est pressé et n’attend pas que la luminosité soit correcte. J’apprécie peu car les phares de ma moto ne fonctionnent plus, et je manque de tomber plusieurs fois. Le groupe se scinde rapidement à la recherche de troupeaux, et je me retrouve avec Adrian, qui disparait aussitôt derrière un bosquet avec son rouleau de PQ. C’est alors que le vieux m’appelle à la radio depuis les airs, et m’ordonne de le suivre, seul. Plein gaz, le Cessna en ligne de mire.


Le terrain n’est pas facile. Nous sommes dans la zone qui a été inondée il y a quelque mois. Le sol est défoncé, l’herbe est haute jusqu’au guidon, et il faut slalomer entre les arbres et les poches d’eau. Pas évident dans ces conditions de poursuivre un avion. Mon regard jongle entre le ciel et le sol. Soudain, tandis que je baisse le regard, les herbes folles disparaissent et révèlent, juste devant moi, un énorme trou d’environ 5 mètres de long. Je ne vois pas le fond. J’ai tout juste le temps de me dire « et merde, c’est fini », mais pas de freiner. La moto décolle, et moi avec. Durant cette envolée, qui me semble durer une éternité, je me rends compte que le trou est rempli d’eau, jusqu’à environ 3 mètres sous le niveau du sol. Je prends mon inspiration, et ferme les yeux. Lorsque je les réouvre, bonne nouvelle, je n’ai mal nulle part. Et j’ai pied, de l’eau jusqu’au nombril. Par contre je ne vois plus la moto. Je la sens à mes pieds. Je replonge la tête sous l’eau, et d’un squat laborieux la redresse. Seul le guidon sort de l’eau. Dur de la bouger plus, la boue rendant tout déplacement extrêmement difficile.


J’essai de me calmer et de reprendre la situation en main. Je prends ma radio et tente de joindre le vieux. J’explique que je suis tombé dans un trou et ne peux sortir seul. Pas de réponse, que du souffle, le talkie a pris l’eau. Mon téléphone ? Merde, il est dans ma poche. Evidemment il ne marche plus non plus. Je devrais me démerder seul. S’en suivra 3 heures d’efforts harassants ou je hisserais la moto, centimètre par centimètre, hors de ce putain de trou. En regardant d’en haut la parois quasi verticale et boueuse, je me demande comment j’ai réussi. Bien sûr, malgré de nombreux essais, la Honda ne redémarre pas. Epuisé, j’attends. Une heure plus tard, ou peut-être deux, une moto arrive. Le vieux. Je me fais insulter de tous les noms. Il n’arrive pas plus que moi a démarrer le moteur. Il me demande de l’attendre auprès d’un arbre. Si je bouge, je suis mort. Il revient plus tard en quad. Il attache les deux machines par un bout de corde, enfourche la moto et me demande de le tracter. Le moteur ne craque toujours pas. Nouvelles insultes, il me dit que je devrais lui rembourser sa moto, puis m’ordonne de monter sur la bécane. Alors il part en trombe. Ainsi relié au quad par un minuscule bout de corde, je lutte pour garder le contrôle. J’ai l’impression qu’il cherche à me faire tomber.


Nous arrivons finalement au yard, ou tout le monde nous attends avec le troupeau. Florent est rassuré de me voir arriver entier. Il a dû harceler le vieux pour qu’il parte à ma recherche. Mais comme toujours : « le bétail d’abord ». Et il faut dire que je ne leur ai pas facilité la tâche ; ma radio, bloquée en mode « talk », a occupé le canal de communication toute la matinée, avec mes injures en fond sonore. Pas le temps de manger, il y a du boulot. Je retourne à mon poste d’immobilisateur de veaux et perceur d’oreilles. Aujourd’hui les veaux sont particulièrement massifs, et j’y met toute ma rage a l’ouvrage. Les derniers à y passer sont les plus récalcitrants, ce sont quasiment des taureaux. L’un d’eux semble enragé ; dans le portique de triage, il fonce tête baissée dans les structures métalliques, s’arrachant au passage une corne. Nous nous y mettons à trois pour le maitriser, et lui branchons des électrodes afin de le paralyser quelques instants. Je m’y prends à deux mains pour lui percer ses oreilles. De son côté, Kerry lui coupe les couilles, grosses comme des avocats, le marque au fer rouge puis lui scie sa corne ballante. Le bœuf se relève tout penaud et repart au trot rejoindre ses congénères. 


Le job est terminé, je bois enfin un peu d’eau puis range le matériel dans le pickup. Pendant ce temps-là, les autres font sortir le troupeau. Je termine mon rangement au moment au le dernier bœuf passe le portail, je m’empresse donc d’aller le fermer avant de subir les fureurs de mes chefs. Presque arrivé, j’entends des cris derrière moi. Tout le monde hurle mon nom. Je me retourne, et me retrouve face a face avec le taureau unicorne. Il a repris du poil de la bête, et il est vénère. Je tente quelques pas de coté à la manière d’un toréro. J’aimerais rejoindre la clôture et l’escalader mais la bête m’en empêche. Je risque alors un sprint désespéré. Bien mal m’en a pris puisqu’il faudra moins de deux secondes à l’animal pour me rattraper et me projeter au sol d’un coup de tête dans le derrière. Je me recroqueville en boule, puis me remémore les mots de Kerry après que Florent se soit fait charger : « une vache ne charge plus une fois sa victime au sol ». Eh bien, il faut croire que ce taureau n’avait vraiment pas apprécié de perdre ses attributs, car il m’a chargé de nouveau. Pour la deuxième fois de la journée je me vois mourir. Par chance il me percute de son coté sans corne, et lorsqu’il me passe dessus, son sabot ne fait qu’effleurer mon crane. Les collègues arrivent à la rescousse pour distraire la bête. Je me relève, et part me mettre a l’abris, groggy et clopinant. Encore une fois, plus de peur que de mal.


Nous relâchons le troupeau puis retournons aux 4x4. A peine remis de mes émotions, le vieux me pourris encore une fois. Une fois la boite a air vidée de son eau, ma moto a redémarré, mais l’huile moteur a tournée à la mayonnaise. Dès mon retour à la ferme, je devrais faire la vidange et rouler 10km 5 fois de suite. Je termine à la nuit tombée, et m’écroule dans mon lit. Et pourtant, le lendemain, j’y retourne.



Partie 6


Vendredi matin, je ne suis qu’à moitié remis de mes émotions. Le vieux, lui, est d’humeur joviale, et se permet même une petite blague : « je devrais te faire payer pour ce taureau que tu as cogné hier ». Ça ne me fait pas rire. Il nous demande ensuite de laver sa voiture. C’est que c’est une personne importante, c’est le maire du comté de la Diamantina, grand comme le Portugal. Et 292 habitants. Ce week-end, tout ce petit monde se retrouve à Birdsville, pour un évènement majeur du calendrier local, le gymkhana.

Nous y faisons un tour le samedi après-midi. Des courses d’agilité a cheval et a moto. Mouais. La foule est de plus en plus imbibée, le bal se met en place. Nous, la vue de nos chefs nous indispose, et nous préférons allez passer la soirée au pub, ou nous nous délestons de nos rancœurs auprès de touristes de passage.


Les semaines suivantes sont plus calmes. Nous délaissons les vaches pour un autre travail typique des « cattle stations », l’entretien des clôtures. Nous roulons sur des dizaines de kilomètres pour réparer les fils barbelés ou remplacer des piquets. Parfois, nous remplaçons des portions complètes. Le vieux est attaché aux techniques traditionnelles, et tient à utiliser des poteaux en bois, beaucoup plus durables que les piquets en acier. Mais aussi beaucoup plus difficiles à installer. Il faut creuser des trous d’un mètre de profondeur. Nous utilisons un vieux tracteur équipé d’un outil de forage, mais il faut vider les trous à la main, et souvent recreuser au bon endroit. Ainsi nous passerons une semaine en camp à jouer de la barre a mine et de la pelle de l’aube au crépuscule, ne retournant à la caravane que pour la gamelle bien méritée du soir et pour passer la nuit dans nos swags. C’est physiquement épuisant, mais souvent le vieux est loin, et le niveau de stress redescend.


La vie est ainsi plus paisible pendant quelque temps. Un soir nous partons tuer une nouvelle vache. Alors qu’il débite les morceaux de chairs, le vieux nous annonce qu’il a des places pour le Big Red Bash, un festival musical perdu dans le désert de Simpson. On est loin de l’ambiance d’un festival européen. Pas de vente de bières, et fin des festivités a 21h. Nous passerons tout de même un bon moment a assister au coucher de soleil sur les dunes de sable, bercés par la country bluesy de Kasey Chambers. Un peu moins durant le concert de rock un peu trop sérieux de Midnight Oil. Mais on se change les idées, c’est bien là le principal.


Après ce répit, nous repartons pour une semaine de mustering. Toujours aussi stressant le moment ou le vieux arrive en avion. Et toujours aussi longues les journées à déplacer le troupeau. C’est après une de ses longues journées à m’époumoner derrière les vaches (car si elles n’avancent pas assez vite, c’est le vieux qui me crie dessus) que m’arrive un nouveau déboire. Nous faisons alors rentrer les vaches fatiguées dans leur enclos pour la nuit. Nous sommes en demi-cercle autour des bêtes à faire rugir les moteurs. Manque de vigilance du côté de Joe, une vache se fait la malle. Florent part à sa poursuite, j’emboite les pas. En quelques secondes je le rattrape (il serait resté bloqué en seconde !), puis je rattrape la vache. Je me positionne à son épaule, conformément a la technique enseignée par Kerry. Selon lui, il s’agirait d’une partie de bluff ou la vache ne serait pas consciente de la supériorité de sa force. On pourrait ainsi la forcer à rejoindre le troupeau. Cette vache-là était plutôt sûre d’elle puisqu’elle a opté pour le défi physique, et m’a envoyé valser. Florent qui nous avait finalement rattrapé n’a pas le temps de m’éviter et me roule dessus. La vache, elle, retourne d’elle-même dans l’enclos, sans passer par la porte. Je mets quelques instants à me relever et rejoindre les autres en boitant. Nous nous faisons engueuler par le vieux ; à foncer ainsi dans les barbelés, la vache aurait pu se blesser. Désolé. En rentrant au camp, je ne peux plus marcher. Je m’assois dans mon coin, au bord des larmes. Kerry le voit, et me propose un Efferalgan. Non merci. Je remonte en selle le lendemain. Il me faudra 3 jours pour repouvoir marcher.


Puis nous retournons construire des clôtures. Le vieux est en vacances, c’est un peu plus tolérable. Arrive le week-end du rodéo de Birdsville. Nous ne tentons pas notre chance sur un bœuf, nous estimons que nous prenons assez de risques comme ça au travail. Cette fois ci nous restons pour la soirée. Les locaux affichent tous un sourire narquois lorsque nous leur annonçons pour qui nous travaillons. Ils s’étonnent que nous ayons tenu si longtemps. Nous rencontrons également quelques jeunes qui travaillent dans d’autres exploitations du coin, et c’est beaucoup moins dur pour eux.


Un vendredi soir, nous rentrons d’une dure journée à creuser et planter des poteaux en plein soleil (comme toujours). Il y a quelques travaux à la ferme à finir avant le week-end. Kerry me demande d’aller chercher une pince. Je me rends dans le hangar, la servante a outils n’est pas à sa place habituelle. Je demande où elle est au vieux qui est en train de bricoler, il me répond : « elle est là, connard ». Ce sera la goutte de trop, le lundi matin nous donnons notre démission. La dernière semaine de préavis, Kerry nous laissera travailler dans les champs en paix. Nous remballons nos affaires dans les camions, nettoyons nos quartiers puis disons au revoir au vieux. Il est sympathique, pour la première fois depuis le jour de notre arrivée. Il nous donne notre solde de tout compte et nous dit qu’il nous recommandera à nos futurs employeurs, nous assurant que quelqu’un qui a travaillé pour lui pourra travailler pour n’importe qui. Par contre, lorsque nous réclamons nos congés dus, il redevient lui-même. Nous n’insistons pas.


Nous quittons la ferme avec des sentiments mitigés. C’était certes très difficile et stressant, principalement a cause de la personnalité de nos employeurs. Mais c’était un travail, malgré la dangerosité, que nous avions appris à apprécier. Apprendre un nouveau métier, travailler dehors dans des paysages sauvages, tout cela était complètent nouveau pour nous, et c’est ce que nous étions venu chercher.  Et ces levers et couchers de soleils, ces vols de perroquets ou de pélicans, ces nuits étoilées à dormir au milieu de nulle part ; tous les jours son lot d’émerveillements. Nous ne regrettons rien.