Lors de mes premières recherches sur le voyage, je suis rapidement tombé sur le Pamir, le "toit du monde". Ses routes défoncées, ses cols à plus de 4000m, ses hauts sommets, ses larges vallées désertiques : ces grands espaces à l'allure de bout du monde me faisaient rêver. Nous ne savions pas quel itinéraire prendre avant ni après, mais nous devions passer par le Pamir.


Après notre escapade sportive dans les Monts Fanskye, une escale à Douchanbé nous permettait de nous reposer, laver le linge et préparer la suite. Cette ville est surprenante : dans ce pays très pauvre on y découvre une capitale douce à vivre. De larges avenues bordées d'immeubles imposants, beaucoup de jardins et une propreté impeccable (les rues sont nettoyées en permanence, et il est même interdit d'y fumer). Mais pas le temps de nous attarder, l'importation temporaire des camions ne nous laisse que 15 jours pour traverser le pays. Nous traçons donc vers le sud, direction la frontière afghane.

Car nous commençons la traversée du Pamir en longeant, durant plusieurs centaines de kilomètres, une rivière matérialisant la frontière avec l'Afghanistan. En face, à 50 mètres, point de Talibans. Des petits villages de pierre surplombant la rivière sont à flanc de falaise et isolés du reste du pays par une infranchissables barrière montagneuse. On distingue quelques Afghans travaillant leurs minuscules parcelles de blé, où joignant deux villages à moto le long du minuscule chemin perché au dessus de l'eau. Pendant deux jours la route se dégrade progressivement, tandis que les paysages varient mais restent constamment impressionnants.


Puis nous arrivons à Khorog, capitale du Haut-Badashkan, province autonome couvrant tout l'est du Tadjikistan. Ce lieu fut le théâtre d'une guerre dans les années 90 mais, hormis les fréquents checkpoints militaires, rien ne le rappelle. L'endroit respire la paix et les gens sont incroyablement gentils. Sur la route, lors d'une pause déjeuner chez l'habitant, un jeune homme apprenant l'anglais avec l'aide d'une voisine passée par l'université, nous parle géopolitique internationale. Il nous apprend également que les Pamiris pratique un islam très modéré (nous l'avions déjà remarqué), et que le chef spirituel de leur communauté (les Ismaéliens) est suisse. Ces gens très pauvres compensent leur conditions de vie difficiles (les hivers doivent êtres rudes) par l'entraide et l'éducation. D'ailleurs, les gamins nous voyant viennent immanquablement à notre rencontre afin de pratiquer un peu l'anglais qu'ils apprennent à l'école.


À Khorog, donc, petite halte pour profiter du confort de la ville et visiter l'office de tourisme, où un très efficace guide nous prépare un programme le long de notre itinéraire. Le premier jour, bain en extérieur dans des sources chaudes. Deuxième jour, visite de forteresses qui gardait ces routes stratégiques il y a plusieurs milliers d'années, puis à poil de nouveau aux sources Bibi Fatima. Troisième jour, randonnée. Depuis le village de Zong, nous prenons de la hauteur sur la vallée. En bas, les rivières Pamir et Wakhan unissent leur forces pour former le Piandj que nous remontons depuis maintenant 500km. En face, les sommets enneigés de l'Hindu Kush, qui forment la frontière entre l'Afghanistan et le Pakistan. Nous nous enfonçons dans les montagnes jusqu'à une charmante prairie au pied du redoutable Pic Engels (6510m). L'endroit est merveilleux : sous le sommet, une rivière émerge d'un glacier, et entre ses méandres broutent les vache en transhumance. Nous déjeunons dans ce décor de carte postale en compagnie d'un sympathique Grenoblois émergeant de sa grasse mat après une nuit là-haut (décidément les Français savent voyager).

Le lendemain nous quittons la vallée fertile pour rejoindre les hauts plateaux. Nouveau test pour les camions : après les longues heures à rouler sur les chemins défoncés et poussiéreux, nous devons maintenant franchir le col Kargush, altitude 4344m. Nous nous éloignons de la rivière, qui s'enfonce dans un canyon, pour nous élever à travers un paysage de désolation. Les passages pentus, à plus de 10%, passeront tant bien que mal, et nous retrouvons une route goudronnée, confort presque oublié. Mais pas pour longtemps, puisque une heure après nous la quittons à la recherche d'un bivouac vraiment sauvage. Au fond d'une large vallée désertique d'une trentaine de kilomètres, un tout petit col stoppe net nos ardeurs. À 4200m, nos deux camions n'ont plus assez de puissance pour avancer. Tant pis, nos dormirons ici et on verra demain.

Aux aurores, un footing à plus de 4000m agrémenté d'une petite grimpette à 4600m confirme ce que je ressentais : je retrouve la forme et mon corps s'acclimate à l'altitude. En tout cas plus que les machines. Le retour sur la route n'est pas rassurant. Pied au plancher en troisième, sur le plat, je ne dépasse pas les cinquante à l'heure. Connaissant le programme qui nous attend, nous ne sommes guère optimistes. Ça roule encore, mais jusqu'à quand ?


Valerien