Ayant appris la toute récente réouverture de la frontière sur l'itinéraire Samarcande/Douchanbé, après 8 ans d'arrêt suite à une route trop dangereuse, nous ajoutons une étape imprévue et bienvenue dans la chaîne des Monts Fanskye. Et comme les montagnes se découvrent mieux à pied qu'en voiture, il est temps de nous lancer dans notre première rando sérieuse. Nous faisons halte à Penjikent (ou nous nous séparons de Charles qui file à Douchanbé poursuivre son périple à vélo) , afin de préparer le trek. Le lendemain matin, recherche des topos et téléchargement des cartes terminés, nous nous enfonçons dans les montagnes aussi haut que nous le permettent nos Trafic, c'est à dire jusqu'à l'embourbage. Nous faisons nos sac : vêtements chauds, réchaud, tente, eau (pas trop), nourriture... De quoi tenir 4-5 jours en autonomie, mais pas moins de 15 kg à trainer sur le dos.

Après une mise en jambe sur une piste de 4x4 jusqu'au camp de base de Artush, nous entamons notre premier col. Le sentier serpentant sous les arbres puis dans les alpages n'est pas trop difficile, mais parfois pas évident à suivre : le sentier est peu marqué et point de balisage ici. Le meilleur moyen de ne pas perdre le chemin est de faire comme le petit Poucet, mais avec les déjections laissées par les ânes. Le manque d'entraînement se fait tout de même sentir, et c'est avec soulagement que nous atteignons le sommet. Une récompense nous y attend : une vue plongeante sur un immense cirque parsemé de petits lacs (Kulikalon), et surplombé de gigantesques parois glacières. Après une rapide descente, nous établirons notre premier bivouac sur un presqu'ilot de gazon au milieu de ces lacs.

Le lendemain, programme similaire mais plus corsé. Nous prenons de l'altitude, et la végétation a laissé place à la caillasse. Le final comporte quelques passages assez raides dans du gravier et des névés, mais le col à 3800m offre de nouveau une vue impressionnante. 


En bas, un campement sommaire borde le splendide lac Alaudin. Son eau tantôt turquoise, tantôt azur reflète les sommets enneigés l'encerclant et c'est magnifique. Nous repérons un groupe de touristes français, et allons à la rencontre de leur guide local qui nous convie au dîner. Cela nous permet de lui poser quelques questions sur la faisabilité de notre itinéraire, et de l'adapter en conséquence.


Au petit matin du 3ème jour, après un petit déjeuner de rêve au bord de l'eau, nous prenons la direction de Moutny, lac d'altitude au pied des deux géants Energia et Chimtarga (5489m). Nous comptions prendre le col situé entre les deux montagnes, mais le guide nous l'a déconseillé à cause du risque d'avalanche. De toute façon, le sentier partant du lac est deja recouvert d'une bonne épaisseur de neige, et il resterait 1500 m de denivelé à grimper...


C'est donc par le col Kaznok, qui est tout de même à 4040m d'altitude, que nous continuerons notre chemin. Nous commençons dans des pierriers, en essayant d'éviter les parties enneigées, jusqu'à ne plus avoir le choix. La neige est maintenant partout. Il est temps d'essayer mes crampons. C'est la première fois que j'en chausse, mis à part ceux de rugby. Le montage automatique sur les chaussures est un jeu d'enfant, mais les premières foulées sont laborieuses et mon pantalon en fait les frais. Nous marchons quelques centaines de mètres jusqu'à nous retrouver face à face avec un immense mur blanc. Sur la droite, un dernier raidillon se profile. C'est maintenant mon piolet qui a le droit à son baptême. La pente est terriblement raide, et les effets de l'altitude se font sentir. Le souffle est court, le cœur s'emballe et l'acide lactique brûle les muscles des jambes. Chaque metre de gagné est une épreuve, ces cinquante derniers mètres sont un calvaire. Quand enfin le col se rapproche, un dernier coup de crampon et voilà que s'offre un panorama grandiose. Un repas bien mérité nous redonne un peu de vigueur, mais le vent glacial et la migraine forcent notre départ.

Dans le début de la descente c'est Florent qui, pour une fois, est devant. Nous devons marcher à flanc de montagne, sur un mélange de gravillons et de terre rendu meuble par le dégel. Un faux pas, une glissade, et on fini 500m plus bas. Mon vertige me submerge et je progresse à pas de fourmis. Cette terrible section terminée, nous nous engageons droit dans la pente qui est maintenant moins forte. Lassés de glisser dans le mélange de boue et de cailloux, nous tentons les zones enneigées. On s'enfonce à chaque pas et c'est beaucoup plus securisant car ça apporte de la stabilité. Je reprends du plaisir et me mets à sourire en pensant qu' il y a 3 jours je subissais les 50°c du désert ouzbek, et qu'aujourd'hui j'ai de la neige jusqu'au cuisses. La descente se terminera dans une profonde vallée au fond de la laquelle coule un ruisseau. C'est à proximité de ce celui ci que nous installerons notre bivouac.

L'itinéraire du dernier jour est simple, nous devons suivre la rivière sur 25km. Mais ça n'a rien de monotone. Le petit ruisseau se gonfle de ses affluents que nous devons fréquemment remonter pour les guéer, et devient petit à petit une large rivière puis un puissant fleuve. Les paysages aussi varient. On passe du désert minéral aux alpages où des bergers ont pris quartier pour l'été. Puis une zone marécageuse semblable à une oasis, de grandes prairies et enfin le lac Iskanderkul où prends fin cette superbe ballade.

Le retour au point de départ, situé à 150km de route sera plus compliqué que la marche. Un homme se propose de nous amener à la prochaine ville avec sa vieille Lada. Il faudra la pousser pour la démarrer, puis s'arrêter tous les 10km pour remettre un litre d'essence dans le réservoir qui fuit... Le lendemain, après une nuit en hôtel avec un deuxième taxi, nous retrouvons nos camions et reprenons la route pour la capitale.


Ce sont 4 jours hors du temps qui s'achèvent, physiquement épuisants mais qui nous en ont mis plein les yeux. Petit conseil pour les amateurs de montagne, prenez un Lyon-Douchanbé et partez découvrir ces montagnes, beaucoup plus sauvages que les Alpes et tout autant grandioses.